Attitude à adopter dans l'incertitude

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delphi

Bonsoir à tous,

Lire des témoignages sur ce forum m'a fait du bien, je me permets donc de partager mon vécu. Je n'ai pas de question très précise mais j'apprécierai tout message de soutien ou commentaire de personne comprenant ce que j'exprime ici... merci d'avance !

Ma mère a été diagnostiquée d'un cancer du sein triple négatif en février 2019, avec des métastases aux os et au foie. Elle a 56 ans, j'en ai 24.
Ce cancer a mis fin à huit années d'alcoolisme et de dépression pour ma mère, des années épouvantables qui ont gâché ma jeunesse et pendant lesquelles je faisais de mon mieux pour l'aider tout en me construisant. Ces années furent difficiles et très solitaires. A l'annonce du cancer, ma mère s'est reprise en main, et ce fut comme une renaissance pour elle. J'ai très vite pris conscience de cet affreux paradoxe : le cancer qui va tôt ou tard me priver de ma maman est aussi celui qui me l'a rendue. J'ai renoué, partagé de beaux moments et créé des souvenirs avec elle.

Pendant un an et demi elle a subi beaucoup de chimiothérapies différentes. Le cancer du sein lui-même avait bien diminué. Elle devait se faire opérer du sein en juin dernier, puis enchainer avec de la radiothérapie. Nous avions pris ces nouvelles comme une véritable avancée, j'étais alors contente, je croyais en une rémission et un retour à une vie normale, une vie pleine.

Mais quelques jours avant l'opération, les scanners ont révélé que les métastases au foie étaient trop nombreuses et les médecins ont jugé qu'il valait mieux refaire de la chimiothérapie pour essayer de les réduire. Malheureusement, en août, elle a été hospitalisée car son état s'est subitement aggravé — fièvre constante, douleurs. Le foie a flambé et il semblerait qu'il n'y ait plus de solution, c'est du moins ce que j'ai compris. Son médecin tente une dernière chimiothérapie, mais n'est pas capable de nous dire dans quel but — gagner un peu de temps, ou espérer une vraie amélioration... la chimiothérapie dure six semaines mais ma mère tiendra-t-elle assez longtemps (elle est à la maison sous morphine, a beaucoup de mal à s'alimenter...) ? Le traitement aura-t-il le moindre effet ? On arrive à court d'options, selon les dires du médecin.

Depuis, rien ne va plus. Je me sens naïve pour ne pas dire stupide d'être autant bouleversée par cette accélération. Elle me paraît si soudaine, et je me dis que je ne m'étais pas assez préparée à la dureté de la réalité, que je n'avais pas pris conscience pleinement de ce qu'allait signifier perdre ma mère si jeune. Je pensais avoir encore quelques années... J'ai consacré beaucoup de mon temps et mon énergie à l'accompagner du mieux que je pouvais depuis le début de la maladie, mettant entre parenthèses mes études et mes projets, car je savais que le plus important pour moi était de profiter de ma maman tant qu'elle était là et de prendre soin d'elle. Maintenant, je pense à ce qu'elle ne vivra pas, à ce qu'elle ne m'aura pas transmis à temps, à ce qu'on ne partagera plus. Je suis terrifiée à l'idée de ne pas l'avoir rendue fière à temps, de ne pas avoir été assez adulte, responsable. Elle ne me verra pas terminer mes études, démarrer ma carrière, elle n'assistera pas à mon mariage et ne connaîtra pas ses petits-enfants. Je suis assaillie par le sentiment que je n'ai pas eu le temps de lui faire mes preuves.

En fait, le plus douloureux est l'incertitude mêlée à ce sentiment d'urgence. Je ne sais quoi espérer, quelques jours ? Semaines ? Mois ? Un miracle... Je suis submergée par la peur. Je pense à la douleur permanente de cette vie qui m'attend. Jusque là, ma mère a été mon modèle de bravoure et de courage. Ancienne infirmière, elle a été d'une lucidité et d'une force phénoménales pour appréhender son cancer. Et la voilà maintenant si affaiblie...

Je la vois se battre et je me raccroche à la moindre petite lueur d'espoir. Je me retrouve aussi à avoir un besoin enfantin, primaire, presque régressif, d'être avec ma maman. Je vais dire quelque chose qui peut paraître bête et égoïste, mais j'ai besoin que ma maman me réconforte... c'est elle qui est malade, c'est à moi d'être forte et courageuse, mais j'ai tant besoin d'elle.

Merci de m'avoir lue, en espérant ne pas avoir été trop longue.

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Dr A.Marceau

Bonjour,
Votre témoignage est très émouvant et je pense qu'il suscitera des commentaires ou témoignages.
La seule chose que je puisse vous dire, c'est que l'analyse que vous faites de la situation est d'une très grande lucidité. Les épreuves que vous avez traversé vous ont donné une grande maturité et je suis certain que votre mère est particulièrement fière de vous et heureuse d'avoir une fille qui lui apporte un soutien aussi fort. Votre peur de la voir vous quitter, votre frustration de ne pas vivre avec elle tous les événements heureux de votre vie à venir sont bien compréhensibles. Mais pour l'heure, il faut juste profiter de votre mère et puiser auprès de votre famille et de vos amis les forces nécessaires pour l'assister dans son combat contre la maladie. Il est en effet important de pouvoir partager vos émotions et vos sentiments avec les personnes qui sont les plus proches de vous.
Bien cordialement
Dr A.Marceau

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Lodye

Bonjour Delphi, votre maman peut être fière de vous. Vous êtes à ses côtés et vous l’accompagnez dans son combat contre la maladie. Moi je vous dis bravo mille fois pour votre force et votre courage. Je vous transmets également tout mon soutien. Amicalement.

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delphi

Bonsoir et merci beaucoup au Docteur Marceau et à Lodye pour leurs réponses qui m'ont beaucoup aidée. Ecrire ce témoignage m'avait également fait du bien. Je viens faire part ici de l'avancée de ma situation...

Il s'est passé dix jours depuis mon dernier message et j'ai l'impression que c'est une décennie qui s'est écoulée. Ma mère a "crevé l'abcès", je ne trouve pas meilleure expression, et a réuni la famille (mon père, ma soeur et moi), pour nous dire qu'elle sentait la fin venir. Elle en a assez de se battre et son cancer se développe trop vite.

Bien que cette discussion fut d'une tristesse infinie, je ne la qualifierais pas de difficile ou de pénible ; en fait, elle m'a plutôt libérée. J'étais soulagée et je me suis sentie plus légère que d'avoir pu entendre ma mère exprimer son souhait de partir le plus sereinement possible.

Elle est hospitalisée depuis un peu plus d'une semaine, car son état se dégrade de jour en jour, et attend une place en centre de soins palliatifs pour se laisser partir. J'ai pu trouver le moment pour lui poser les questions que j'avais à lui poser, et lui dire ce qu'il me semblait important — que j'allais m'en sortir, que j'irai bien, et il ne me reste maintenant qu'à la remercier et lui dire au revoir.

Je me retrouve encore dans un paradoxe : je ne veux pas que ma maman meure mais je veux qu'elle ne souffre plus. Et, comme je connais l'issue, j'ai en fait hâte qu'elle soit libérée.

Voilà. En souhaitant bien du courage à quiconque lira ceci.

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Lodye

Bonjour Delphi, votre récit est tellement rempli d’amour et de bienveillance.... «  Aimer c’est aussi laisser partir ceux qu’on aime ». Vous nous donnez une belle leçon de vie et de courage Delphi car malgré votre tristesse, vous placez l’intérêt de votre maman en priorité. Votre attitude exemplaire permettra à votre maman de partir de manière apaisée j’en suis convaincue. Malgré l’épreuve difficile à laquelle vous êtes confrontée, ne vous oubliez surtout pas Delphi. Belle journée à vous.

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Camille Flavigny
Chargée de mission Droits des personnes
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Médecin, chargé des questions médicales
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