Aujourd’hui, le lien entre tabagisme et cancer du poumon est une évidence. Mais cela n’a pas toujours été le cas, et il a fallu toute la capacité d’observation, la rigueur et l’autorité acquise par les faits d’un jeune médecin britannique, Richard Doll, pour établir, au terme d’une étude menée sur plusieurs décennies, ce lien de causalité désormais indiscutable.

Aujourd’hui, le lien entre tabagisme et cancer du poumon est une évidence. Mais cela n’a pas toujours été le cas, et il a fallu toute la capacité d’observation, la rigueur et l’autorité acquise par les faits d’un jeune médecin britannique, Richard Doll, pour établir, au terme d’une étude menée sur plusieurs décennies, ce lien de causalité désormais indiscutable.

 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Medical Research Council (MRC) – l’équivalent britannique de l’Inserm – s’interroge sur les causes de la véritable « épidémie » de cancers du poumon qui frappe alors la Grande-Bretagne. Bien que le tabagisme ait pris une ampleur considérable dans les économies développées au cours de la première moitié du XXe siècle – à l’époque, près de 80 % des hommes adultes anglais fumaient –, il ne fait pourtant pas figure de suspect numéro un. On envisage alors des facteurs environnementaux, comme les gaz émis par le chauffage urbain et la circulation automobile, également en plein essor, ou encore le bitume qui recouvre les routes, dans les composants duquel la présence d’agents cancérogènes a été mise en évidence. Un indice, toutefois, que l’environnement ne suffit pas à expliquer : les femmes étaient à l’époque bien moins touchées que les hommes par l’épidémie de cancers du poumon.

Pour en avoir le cœur net, le MRC lance donc une étude sur ce sujet en 1947, dont elle confie la réalisation au professeur Austin Bradford Hill, épidémiologiste reconnu. Ce dernier s’adjoint les services d’un jeune médecin, Richard Doll, qui étudie auprès de lui les statistiques médicales à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, et dont il a déjà pu apprécier les qualités en matière de recherche. Les deux médecins entreprennent une étude « cas-contrôle » en interrogeant des centaines de personnes atteintes d’un cancer du poumon (les « cas ») sur leurs habitudes de vie, qui incluent, entre autres facteurs, le tabac. Ils comparent leurs réponses à celles d’autres patients comparables et décédés d’une autre cause (les « contrôles » ou témoins). Ils constatent très rapidement que pratiquement toutes les personnes atteintes d’un cancer du poumon sont ou ont été fumeuses, à l’opposé des « contrôles ». Ils publient leurs conclusions en 1950, qui établissent une relation purement statistique entre exposition au tabac et cancer du poumon, relation confirmée par quatre études américaines publiées la même année.

Mais à leur grande surprise, le résultat de leur étude ne reçoit que peu d’écho. Il suscite surtout un certain scepticisme au sein de la communauté médicale, d’autant plus que le tabagisme y est alors largement répandu. Principale critique : la relation de causalité n’est pas établie, et un autre facteur méconnu lié au cancer du poumon et au tabac pourrait être en cause. Richard Doll et Austin Bradford Hill, eux-mêmes fumeurs avant leur étude, comprennent qu’ils doivent approfondir leurs recherches pour établir définitivement le lien de causalité entre le cancer du poumon et le tabac. C’est alors que Richard Doll a l’idée d’une nouvelle approche. Une idée de génie, puisqu’elle permettra à la fois d’établir ce lien et de sensibiliser le corps médical aux méfaits du tabac.

En 1951, Doll et Hill lancent alors une étude de suivi sur un très long terme auprès de quarante mille médecins en les interrogeant année après année sur leur consommation de tabac et en enregistrant la cause de leur décès. En 1954, les premiers résultats de cette nouvelle étude sont publiés par le British Medical Journal, confirmant que la proportion de décès par cancer du poumon est bien plus importante chez les fumeurs, et que cette proportion augmente avec la quantité de tabac consommée. Le lien de causalité est dès lors démontré. En 1956, Doll et Hill révèlent que le tabagisme est également à l’origine d’autres pathologies, comme les maladies cardiovasculaires ou les bronchites chroniques. Et en 1957, le gouvernement britannique est l’un des premiers au monde à reconnaître que le tabac provoque bel et bien le cancer du poumon.

L’étude, qui devait initialement durer cinq ans, se déroulera pendant cinquante ans sous la houlette de Richard Doll – Austin Bradford Hill ayant passé la main au début des années 60 –, tant elle se montrera riche en enseignements. Elle mettra ainsi en évidence tous les bénéfices de l’arrêt du tabac pour réduire le risque de mort prématurée. Et donc la nécessité de lutter contre ses méfaits… D’ailleurs, les travaux de Sir Richard Doll (anobli en 1971) et son implication constante dans la lutte antitabac ont porté leurs fruits. À partir des années 80, la consommation de cigarettes a drastiquement diminué au Royaume-Uni. Résultat : en 2010, seulement 4 % de la population masculine est décédée avant l’âge de 70 ans à cause du tabac, contre 20 % en 1965.

« Le rôle de Richard Doll a été déterminant pour démontrer que, contrairement aux croyances du début du XXe siècle, le cancer n’est pas une conséquence naturelle du grand âge, comme peuvent l’être les cheveux gris, les rides et les idées conservatrices », écrivait en 2005 Richard Peto, proche collaborateur et « héritier » de Richard Doll, dans un hommage à son mentor. Dont le combat reste d’autant plus d’actualité ! Son continuateur, Richard Peto, estime à près de un milliard le nombre de personnes qui pourraient mourir du tabac au XXIe siècle, contre 100 millions au siècle dernier. La Ligue contre le cancer milite activement pour la mise en application de la Convention-cadre de l’OMS, qui regroupe l’ensemble des mesures efficaces contre l’« épidémie industrielle » la plus meurtrière de tous les temps.

 

La lutte antitabac en France

1976 : Loi Veil, première loi française de lutte contre le tabagisme qui limite la publicité et interdit de fumer dans certains lieux publics.

1991 : La loi Évin renforce la loi Veil en interdisant la publicité sur le tabac et de fumer dans tous les lieux publics et les transports.

2001 : Une directive européenne réglemente la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac (notamment teneur maximale des cigarettes en nicotine, goudron et monoxyde de carbone). Elle est en cours de révision pour être renforcée.

2007 : Grâce à la pétition « Nouvelle ère, nouvel air » lancée par la Ligue contre le cancer en 2005, le décret Bertrand prohibe, le 1er février 2007, le tabac dans les lieux publics et en entreprise. En 2008, l’interdiction de fumer s’étend aux bars-tabacs, restaurants, hôtels, casinos et discothèques.

2011 : La Ligue lance la campagne « Tueurs-payeurs » afin d’obtenir un prélèvement sur les bénéfices de l’industrie du tabac, destiné à contrôler efficacement l’usage de ce poison (www.tueurs-payeurs.fr).

 

Illustration : David Despau

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