Derrière son bureau, en blouse blanche, le cancérologue livre le bilan tant espéré de fin de traitement : c’est une rémission complète, l’absence de tout signe apparent de la maladie. Entre soulagement et angoisse d’une rechute, épuisement physique et désir d’aller de l’avant, comment reprendre petit à petit le cours d’une vie normale quand pendant de nombreux mois, la maladie a imposé son rythme ? Plus de deux millions de personnes en France ont un jour eu à se poser la question de l’après-traitement pour un cancer (Commission d’orientation sur le cancer 2003). Affaiblis sur les plans musculaire et articulaire, carencés sur le plan nutritionnel, elles se sont souvent retrouvées bien seules pour affronter cette période difficile. « La qualité de la prise en charge médicale ayant énormément progressé ces dernières années, le contrecoup est d’autant plus important au moment où les personnes quittent le cocon hospitalier. Certains patients disent : ça y est, je suis guéri, il faut que ça reparte. D’autres éprouvent un sentiment d’abandon notamment vis-à-vis de l’équipe hospitalière qui les a tellement aidés à surmonter l’épreuve de la maladie », analyse Giulietta Poillerat, déléguée au service actions pour les malades à la Ligue contre le cancer.
Perte d’autonomie
En bonne place parmi les premières préoccupations des malades après un traitement figure le besoin de se reconstruire : soutien psychologique, prise en compte des séquelles physiques, redéfinition d’un projet de vie en particulier sur le plan professionnel, etc. Ce processus doit souvent prendre en compte la fatigue qui peut revenir pendant plusieurs années. Par ailleurs, certaines personnes vont devoir affronter les conséquences de la perte d’autonomie sur le plan de leurs capacités physiques ou sur le plan social. Enfin, s’agissant de la reprise du travail, si des solutions existent pour permettre des adaptations de l’emploi, la question de la réinsertion professionnelle demeure complexe : « Une femme qui a subi un curage ganglionnaire suite à un cancer du sein ne pourra plus réaliser des tâches pénibles avec son bras. De même, un chauffeur routier rencontrant des problèmes d’incontinence après le traitement chirurgical d’un cancer de la vessie ne pourra plus exercer son métier », témoigne le Dr Bruno Audhuy, cancérologue et administrateur de la Ligue. Certains salariés pourront bénéficier d’un aménagement de poste au sein de leur entreprise ou d’un reclassement. D’autres devront subir l’épreuve d’un licenciement et entamer une requalification professionnelle. Rappelons qu’aujourd’hui 40 % des personnes soignées pour un cancer font partie de la tranche d’âge des actifs. Mais l’épreuve du cancer n’a pas que des effets négatifs ainsi que l’attestent des cancérologues et des psychologues : elle peut être l’occasion de repenser son projet professionnel, voire son projet de vie.
Surveillance alternée
Face à l’affaiblissement physique, les activités physiques peuvent également contribuer à retrouver confiance en soi : « Souvent après un traitement, les personnes ne souhaitent pas se rendre dans une salle de gym traditionnelle ni même à la piscine. Mais à partir du moment où l’activité se déroule dans un cadre un peu médicalisé, elles reprennent confiance et découvrent que leur corps n’a pas perdu sa capacité à faire des efforts », poursuit le cancérologue. D’ailleurs, de plus en plus d’établissements proposent ce type de prise en charge. Quant à la surveillance médicale, elle varie bien entendu d’une personne à l’autre, d’une pathologie à l’autre. Bâtie « sur-mesure », elle est amenée à être coconduite par un médecin généraliste en lien avec un cancérologue. Une mesure préconisée par le Plan cancer 2. A titre d’exemple, le centre hospitalier de Colmar a mis en place un protocole de surveillance alternée pour les personnes qui ont été soignées pour un cancer du côlon, du sein et bientôt de la prostate. La vie sociale peut également se trouver modifiée. Les proches peuvent avoir été affectés. De même, l’impact corporel de la maladie et des traitements peut causer des difficultés dans la vie intime. Enfin, il arrive que les ressources financières diminuent après un cancer : « Les revenus peuvent baisser, les personnes peuvent avoir un reste à charge en raison de dépenses non couvertes par l’assurance maladie : dépassements d’honoraires dans le cadre de reconstructions mammaires, achats de perruques, etc. De même, les personnes de moins de 60 ans ne bénéficient pas de l’aide personnalisée à l’autonomie, si elles souhaitent embaucher une aide à domicile », pointe la déléguée au service actions pour les malades. Afin de mieux comprendre ces phénomènes, la Ligue a lancé une enquête baptisée Dopas.
« On s’imagine que les personnes vont savoir de manière innée comment repartir alors qu’elles ont besoin d’un accompagnement post thérapeutique mené par des professionnels. »
Pour un accompagnement global
L’année dernière, les commissions sociales des Comités départementaux de la Ligue ont consacré 6 millions d’euros pour venir en aide aux personnes (aide alimentaire, soutien au paiement des loyers, achat de prothèses, financement d’aide-ménagères, etc.). Mais, au-delà des aides ponctuelles qu’elle peut apporter, la Ligue est favorable à l’instauration d’un accompagnement global dans le cadre de l’après-traitement en France. C’est déjà le cas en Allemagne où les patients ont la possibilité d’effectuer un séjour dans un centre de réadaptation, séjour pris en charge par une mutuelle. Ils y bénéficient d’un accompagnement sur les plans de la nutrition, du bien-être physique et psychologique pendant quatre semaines. «On s’imagine que les personnes vont savoir de manière innée comment repartir. Or elles ont besoin d’un accompagnement post thérapeutique par des professionnels. Et ce d’autant plus que, vulnérables, elles sont sensibles aux arguments de tous les mauvais conseilleurs », conclut le Dr Audhy. Aujourd’hui, grâce aux progrès thérapeutiques, pour 42 % des patients, le taux de survie à cinq ans après un cancer est de 80 %. Des chiffres qui incitent à se préoccuper davantage de la prise en charge après traitement.
Philippe Bohlinger
Trois questions à…
Denis Azoulay, 52 ans, administrateur du Comité départemental de la Ligue du Rhône.
Après votre traitement pour un cancer, quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Mon traitement pour un cancer de l’estomac par chirurgie, chimio et radiothérapie il y a six ans, m’a beaucoup affaibli. J’ai perdu 22 kg et me suis retrouvé très démuni face aux difficultés quotidiennes d’alimentation. A l’époque, je n’ai eu aucune incitation médicale à consulter un nutritionniste. Je souffre également d’un dumping syndrome, des évanouissements, un handicap qui complique mon existence. Sur le plan professionnel, en tant que dentiste, il n’existe pas de possibilités de mi-temps thérapeutique. J’ai bien tenté de reprendre le travail, mais c’était dur car je n’arrivais pas à retrouver la concentration nécessaire. J’ai fini par accepter l’invalidité professionnelle qui me permet de subvenir à mes besoins. Sur le plan financier, ça n’a pas été évident, car il y a un décalage entre la déclaration d’invalidité et le moment où on perçoit la rente. Ce qui est encore plus difficile à accepter, c’est le refus des banques de m’accorder le moindre prêt. Du coup, c’est mon épouse qui prend tout à sa charge. Comment s’est passé votre suivi médical ?
Malheureusement, j’ai fait une septicémie après ma radiothérapie. J’ai tenté d’en savoir davantage auprès de mon cancérologue. Mais, embarrassé par mes questions, celui-ci a préféré rompre la relation de soins. Pendant quinze jours j’ai eu des pensées suicidaires. La médiation auprès du conseil de l’ordre n’a pas arrangé les choses. Finalement, j’ai trouvé un autre établissement qui a accepté un peu à reculons de me suivre. Actuellement, j’ai rendez-vous avec un cancérologue tous les six mois et je passe un scanner tous les ans, mais c’est une période d’angoisse pour moi.
Qu’est-ce qui vous a aidé à vous relever après le cancer ?
Mon épouse a été d’une grande force, car cette période a été aussi très difficile pour elle. Je me suis également mis à l’écriture (Mal et fils, éditions Persée, 2009).Surtout, j’ai découvert l’extraordinaire Comité départemental de la Ligue du Rhône. Pour moi, la réinsertion dans la vie active est passée par ce Comité. J’ai eu le sentiment d’être utile notamment en animant des ateliers d’écriture pour les malades.