Cancer et enfant. Difficile d’associer ces deux mots… Et pourtant la réalité – contre-nature – est là : près de 1 700 nouveaux cas sont recensés chaque année chez les enfants de moins de 15 ans, soit 1 enfant touché sur 500. Selon le Centre national de recherche sur le cancer (CIRC), près de 160 000 enfants développent un cancer chaque année dans le monde et environ 90 000 d’entre eux succomberont à leur maladie. Pour Dominique Valteau-Couanet, chef du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent de l’Institut Gustave Roussy, il existe une grande hétérogénéité de ces cancers avec une soixantaine de types différents, bien plus que chez l’adulte : « Les leucémies et les lymphomes représentent 40 % des cas, les tumeurs malignes du système nerveux central 30 %, les autres formes de cancers étant plus rares. Ce sont des tumeurs à évolution rapide, de quelques semaines à quelques jours selon les cas. Il va donc s’écouler très peu de temps entre le diagnostic et le début d’une prise en charge thérapeutique adaptée. Aujourd’hui, en France, on guérit environ 75 % des cancers de l’enfant, un taux qui cache cependant des réalités différentes selon le type de tumeur. »
Le parent fait le choix d’arrêter de travailler
Les réactions psychologiques de l’enfant à son cancer dépendent beaucoup de la capacité de ses parents à faire face à la maladie, à le soutenir sans nier son état. Le maintien des liens affectifs est essentiel. D’ailleurs, très souvent l’un des deux parents fait le choix d’arrêter de travailler et devient un interlocuteur permanent. Les enfants comprennent très tôt qu’il se passe quelque chose de grave. Ils se rendent compte que l’attention de la famille est centrée sur eux. Rapidement, ils intègrent un nouveau vocabulaire : aplasie, transfusion… Ils parlent aussi de leur « cathé » ou de leur chambre. Tous ces mots envahissent leur univers. « Quel que soit leur âge, il est absolument essentiel de parler un langage de vérité parce que le chemin est long et parfois compliqué. Ils ne pourront adhérer au traitement et à ses contraintes que si un dialogue de confiance s’est établi entre eux, leurs parents et leur médecin », rappelle Dominique Valteau-Couanet. Aujourd’hui, 98 % des enfants sont soignés dans des centres de référence. La prise en charge des cancers de l’enfant a été structurée par l’Institut national du cancer (INCa) à travers 31 établissements proposant une offre de soins adaptée pour les enfants de moins de 18 ans.
Vers une médecine plus personnalisée
Actuellement, personne ne sait vraiment pourquoi un enfant développe un cancer. Le rôle de facteurs génétiques transmis par les parents a été évalué à moins de 5 % des cas, mais des études plus fines sont en cours. Quid des traitements innovants ? L’oncologie pédiatrique est en quête de nouveaux médicaments pour améliorer la qualité de vie et progresser en termes de guérison. L’objectif vise à répondre de façon plus ciblée à l’hétérogénéité biologique des tumeurs. « Des progrès importants ont été enregistrés au cours des dernières décennies. Ils permettent de guérir, en moyenne, quatre enfants sur cinq grâce, notamment, à l’introduction de chimiothérapies de plus en plus efficaces, reconnaît Dominique Valteau-Couanet. L’immunothérapie, de nouveaux médicaments ciblent les anomalies de fonctionnement des cellules, mais aussi de nouvelles techniques de radiothérapie comme la protonthérapie permettent une irradiation beaucoup plus précise. Toutes ces innovations thérapeutiques visent à guérir plus d’enfants et à protéger leur qualité de vie d’adultes guéris. »
Renforcer le lien social avec l’école à l’hôpital
En dépit des progrès réalisés sur le plan thérapeutique, la découverte d’un cancer chez un enfant est souvent difficile à accepter. Il est donc important que la prise en charge porte non seulement sur les aspects médicaux mais offre également, à l’enfant et à sa famille, un encadrement social et psychologique. L’école à l’hôpital donne la possibilité aux enfants de poursuivre leur scolarité durant leur séjour hospitalier. Pour Marie Bécart, présidente de l’association L’École à l’hôpital et à domicile, « l’enfant malade qui redevient un élève retrouve des repères d’identité. Pour lui, les enseignants représentent le milieu extérieur et de ce fait symbolisent la vie normale. L’enfant doit pouvoir accéder à la scolarité pour rester dans la vie. » Dans chaque Académie, un dispositif spécifique est mis en place par l’Éducation Nationale pour les enfants malades.
Les enseignants diplômés et bénévoles de l’association complètent parfois ce dispositif. Lutter contre
la déscolarisation est un enjeu important qui contribue aussi à la guérison. Présente dans treize ôpitaux de la métropole lilloise, l’association regroupe 134 enseignants qui ont suivi 1 380 enfants et adolescents pour 2 650 heures de cours pendant l’année scolaire 2010-2011. « Pour beaucoup de médecins, continuer d’apprendre fait aussi partie du projet thérapeutique », ajoute Marie Bécart. Gilles Girot
Pour en savoir +
• L’École à l’hôpital et à domicile
Port : 06 23 02 53 25
Site : http://eahd.free.fr
Une prise en charge holistique
La durée du traitement est une période extrêmement difficile durant laquelle les enfants doivent sentir que l’on prend bien soin d’eux en plus de leur donner des soins. Administrées toutes les trois semaines, les cures de chimiothérapie durent entre trois et cinq jours. Durant les périodes d’intercures, certaines familles en précarité et qui ne résident pas en Ile–de-France sont confrontées à la difficulté de trouver un hébergement. D’où la volonté de la Ligue contre le cancer de faire aboutir le Projet « IDF – Familles d’accueil – Intercures oncopédiatrie » (voir encadré p. 33). « L’objectif est de mettre en place une prise en charge holistique, c’est-à-dire globale, centrée sur le patient et non pas
seulement sur la maladie et le traitement, note Dominique Valteau-Couanet. Il est primordial de permettre à l’enfant de garder une confiance en soi pour passer à travers la maladie. Quelle que soit la façon dont on les accompagne, être confronté à l’idée de mort quand on est si jeune représente une expérience extrêmement douloureuse. Il est donc indispensable d’alléger le poids de la maladie et de rendre la vie plus légère pour que tous ces enfants sortent de cette épreuve le moins écorchés possible. »
Sous le même toit…
Comment répondre aux besoins d’hébergement des familles en précarité, non-résidentes en Ile-de-France, et dont l’enfant traité pour une maladie cancéreuse est en intercure ? Face à ce constat des associations de parents, la Ligue contre le cancer a initié un projet pour créer une offre de familles « hébergeantes » pour des enfants reconnus par les centres hospitaliers comme nécessitant ce type
d’accueil. En effet, « Les Maisons de Parents ne sont accessibles que pendant la durée de l’hospitalisation et les organismes privés comme le Rosier Rouge facturent leurs services », explique Mary-Régine Marion, viceprésidente du Comité du Val-de-Marne de la Ligue. Pour financer ce projet
« IDF – Familles d’accueil – Intercures oncopédiatrie », l’INCa a accordé au Comité du Val-de-Marne une subvention de 70 000 € sur deux ans.
« Dans un premier temps, nous pilotons cette expérience avec l’Institut Gustave Roussy (IGR), l’Institut Curie, l’hôpital Robert Debré et l’hôpital Armand Trousseau ». « On ne s’improvise pas famille d’accueil, note Dominique Valteau-Couanet, chef du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent de l’IGR de Villejuif (94) et référente médical du projet. Il faudra recruter, former ces familles afin qu’elles ne soient pas complètement désemparées, et mettre en place un suivi pour les accompagner. » Chacun des huit Comités d’Ile-de-France devra prendre en charge une famille hébergeante pendant le traitement de la maladie dont la durée moyenne est d’environ 12 mois. Les personnes accueillies pendant les intercures de trois semaines environ seront les deux parents et l’enfant. « Très sensibilisée à la souffrance des enfants et des parents, la Ligue est fière de développer un projet qui lui tient particulièrement à cœur », conclut Mary-Régine Marion.
REPÈRES
En France, un enfant sur 440 va développer un cancer avant l'âge de 15 ans, selon une étude conduite par des chercheurs de l’Inserm et de l’Université Paris 11 sur la période 2000-2004. La moitié des cancers infantiles survient avant l’âge de 5 ans avec un taux d’incidence un peu plus élevé chez les garçons. Puis, on observe un léger “creux” entre 5 et 10 ans, suivi d’une nouvelle augmentation chez les adolescents et les jeunes adultes. Bien que rares, les cancers pédiatriques constituent la deuxième cause de mortalité entre 1 et 14 ans après les accidents.
Trois questions à…
Gilbert Schneider, vice-président du Comité du Bas-Rhin de la Ligue.
Vivre : Portez-vous une attention particulière aux enfants ?
Gilbert Schneider : Notre mission est d’accompagner tous les malades et les enfants ne sont pas oubliés. En partenariat avec l’association Arame qui vise à faciliter le parcours thérapeutique des enfants et adolescents atteints de cancer, notre Comité a organisé, en octobre dernier, la venue de Disney à l'hôpital de Hautepierre de Strasbourg. Dans les quatre services de pédiatrie dont celui d’onco-hématologie, Mickey et Minnie ont offert aux enfants deux journées inoubliables et magiques. Cette opération du cœur a changé le regard des enfants pour notre plus grand bonheur aussi ! Disneyland Paris, c’est une vieille histoire…
G. S. : Effectivement, nous avions déjà emmené, en mai 2010, 48 enfants suivis en onco-hématologie à Disneyland Paris où sept employés avaient pris un congé pour les accompagner et leur faciliter l’accès aux manèges ! En 2008, j’ai souhaité que 40 enfants jeunes footballeurs parrainent 40 enfants atteints de cancer. Nous sommes partis au Stade de France où chaque enfant portait un sweat-shirt et la même inscription: « 17 novembre 2008 / France-Uruguay / Stade de France / J’y étais ! » Aujourd’hui, certains le portent toujours.
L’univers du rêve est important…
G. S. : Bien sûr, les enfants ont besoin de s’évader et de mettre entre parenthèse leur hospitalisation. Mais quand on les rencontre à l’hôpital, ils nous donnent parfois des leçons : ces enfants s’accrochent à la vie. Alors, si l’on peut leur apporter une lueur d’espoir et un soutien moral, on ne va pas se gêner !