Après s’être battues contre la maladie, les personnes atteintes d’un cancer doivent souvent entrer dans un nouveau combat : celui de retrouver leur place dans la vie active. Si plusieurs dispositifs contribuent à les accompagner dans leur retour à l’emploi, des freins subsistent.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une personne sur trois perd ou quitte son emploi dans les deux ans après un diagnostic de cancer(1). « L’idée d’un salarié affaibli par la maladie s’inscrit difficilement dans les logiques de compétitivité et de performance qui régissent le monde du travail », observe Gérard Van den Bulcke, directeur du Comité départemental des Alpes-Maritimes de la Ligue contre le cancer. Ces difficultés à réintégrer l’entreprise, Alix Laugier en a payé le prix fort. Après douze mois d’absence pour traiter son cancer du sein et quinze jours avant la reprise de son activité professionnelle, cette juriste de 47 ans a été licenciée en pleine radiothérapie. Motif : absence ayant perturbé l’entreprise. Mais dans ce type de situation, qui est le plus perturbé des deux ? L’entreprise ou le salarié malade ? « Je suis tombée des nues mais, renseignements pris, je me suis rendu compte que cette procédure était parfaitement légale, raconte l’intéressée. Mon contrat a donc pris fin, mais j’ai décidé d’attaquer cette entreprise pour licenciement abusif sans cause réelle ni sérieuse. » Cette histoire, partagée par 30 % des salariés exclus de leur entreprise après un cancer, rejoint également le parcours des non actifs, ceux que la maladie touche alors qu’ils sont sans emploi. Le cancer amoindrit leurs chances de retrouver un poste : 30 % des chômeurs ayant affronté un cancer décrochent un emploi deux ans après, contre 43 % pour les personnes qui n’ont pas connu la maladie(2). « Embaucher quelqu’un qui a eu un cancer ou qui suit encore un traitement reste compliqué pour les entreprises, poursuit Gérard Van den Bulcke. Ce constat est d’autant plus vrai dans un climat de crise économique. » Une étude réalisée par l’Institut national du cancer (INCa) révèle en effet que les arrêts maladie dus à des diagnostics de cancer coûteraient environ 525 millions d’euros par an aux entreprises françaises, soit 9 000 euros en moyenne par arrêt(3).
L’ancien malade : un salarié pas comme les autres ?
Mais de quoi les entreprises peuvent-elles bien avoir peur ? Pour le savoir, examinons le portrait-robot du salarié ayant connu un cancer. Physiquement d’abord, celui-ci rencontre parfois plus de difficultés à exécuter les mêmes gestes qu’avant. Selon l’opération qu’il a subie, il peut avoir du mal à porter des charges lourdes et une grande fatigabilité le rend souvent moins performant temporairement. À ces évolutions, qui empêchent rarement la personne d’être déclarée inapte à reprendre le travail, peut s’ajouter un changement psychologique. « Les personnes ayant connu le cancer sont souvent confrontées à l’angoisse de la reprise du travail, explique Gérard Van den Bulcke. Elles ont peur du regard de leurs collègues, doutent de leur capacité à retrouver leurs réflexes professionnels et ont parfois la sensation d’avoir échoué, d’avoir abandonné leur entreprise. » Cette perte de confiance peut avoir tendance à isoler le salarié du reste de l’équipe. « En parallèle, les personnes qui ont quitté l’entreprise depuis plusieurs mois pour suivre un traitement ont souvent envie de reprendre leur activité professionnelle, observe le docteur Christiane Breton, médecin du travail. Elles en ont assez de leur statut de malade et veulent retrouver un rythme de vie normal, d’ailleurs parfois trop rapidement. » Dans l’esprit du salarié ancien malade règne souvent ce sentiment paradoxal d’envies et de craintes. Et ses faiblesses – physiques ou psychologiques – peuvent également cohabiter avec une grande force, tirée de sa capacité à avoir pris le dessus sur une maladie grave. « Je me souviens de témoignages poignants d’anciens malades qui se sentaient beaucoup plus performants, car ils avaient pris leur revanche sur la vie », ajoute Gérard Van den Bulcke. Les anciens malades pourraient même se révéler de sérieux atouts pour les entreprises. Mais bon nombre d’entre elles semblent ne pas prendre le temps d’évaluer cette opportunité, en réagissant par la mise à l’écart, voire le licenciement. Dans certains cas, au tabou du cancer s’ajoute celui portant sur l’évolution de la carrière du salarié, qui voit son avenir professionnel s’obscurcir progressivement sur fond de nondits. « Dès mon retour de congé maladie, j’ai senti qu’on me mettait à l’épreuve, raconte Vincent Delannoy, manutentionnaire licencié peu après son cancer du mélanome. On m’a imposé des horaires de nuit, mes collègues ne me parlaient pas naturellement, ma direction n’évoquait plus mon évolution de carrière et je sentais que mon contrat allait se terminer. C’est ce qui a fini par se produire. »
Connaître la différence pour mieux l’accepter
« Si les entreprises ne savent pas comment réintégrer leurs salariés atteints d’un cancer, c’est souvent par méconnaissance et par peur de la maladie, et de ses conséquences », analyse Gérard Van den Bulcke. Dans le cadre de son combat pour l’amélioration de la vie des malades, la Ligue contre le cancer a donc choisi de s’adresser directement aux entreprises au travers d’une action pilote de sensibilisation portée par son Comité des Alpes-Maritimes. Le Pacte 06 (Programme action cancer toutes entreprises), tel est son nom, se fixe pour mission principale d’aider les sociétés – dirigeants et collaborateurs – à mieux gérer la maladie d’un employé, mais aussi à assurer la prévention des risques. Concrètement, il s’agit de mener une action de sensibilisation auprès d’entreprises volontaires du département. Les salariés, réunis par petits groupes, reçoivent une formation délivrée par la Ligue contre le cancer avec le soutien d’un psychologue et/ou d’un cancérologue. Plusieurs thématiques peuvent être abordées via le module « Comment se comporter face à un collègue de travail atteint d’une pathologie lourde ? » : les phases de la maladie, le malade et l’entreprise, la relation d’aide… « Les entreprises ont bien conscience de leurs lacunes en matière de connaissance malade, commente Gérard Van den Bulcke. D’ailleurs, sur les trente-trois entreprises que nous avons sollicitées, toutes se sont montrées volontaires et bon nombre d’entre elles ont mobilisé des membres de leur direction pour assister à notre intervention de sensibilisation. »
Entourer le salarié malade
Outre la sensibilisation du monde entrepreneurial, le Pacte 06 initié par la Ligue contre le cancer comporte également un partenariat avec Pôle emploi. Ainsi, un référent a été désigné dans chaque agence de l’organisme public. Formé par la Ligue, il sait comment aborder les personnes malades, devient leur point d’entrée privilégié au sein de l’agence, mais également le spécialiste du sujet aux yeux de ses collègues. « Dans le cadre du partenariat, nous mettons nos référents au service du Comité des Alpes-Maritimes de la Ligue pour qu’il puisse orienter les malades qui le contactent directement vers le bon interlocuteur Pôle emploi, explique Pascale Puig, directrice de l’agence spécialisée Pôle emploi du Cannet. Ce dispositif crée un raccourci dédié aux salariés qui ont connu le cancer et qui ont besoin d’informations spécifiques, notamment à propos des allocations de chômage dans le cas de leur licenciement. » La Ligue contre le cancer et Pôle emploi s’engagent également mutuellement à rendre visible ce partenariat sur tous les supports de communication possibles. Et après les conseillers, les directeurs d’agence seront formés par la Ligue. « Le but ? Mieux appréhender la personne ayant connu le cancer, améliorer notre posture vis-à-vis de cette population et mieux répondre à ses questions, poursuit Pascale Puig. Cela nous permet également de nous préparer à l’une des mesures du Plan cancer 2014-2019, qui prévoit un accompagnement vers l’emploi des personnes atteintes d’un cancer sur douze mois, comme il en existe pour les licenciés économiques. »
Organiser sa reprise
Le congé maladie forme souvent une parenthèse, qui isole le malade de sa vie sociale et professionnelle, d’autant plus quand cette absence dure plusieurs mois. « Cependant, le retour au travail doit se préparer, et ce, le plus tôt possible », prévient le docteur Christiane Breton, médecin du travail. Concrètement, un rendez-vous de préreprise est à prévoir entre le salarié et le médecin du travail. Cette rencontre, organisée le plus tôt possible quand des difficultés sont prévisibles pour la reprise du poste de travail, permet d’évaluer si le salarié sera apte ou non à reprendre le travail dans les mêmes conditions qu’avant son départ en congé maladie. Cette visite, gratuite, doit être demandée par le salarié lui-même au médecin du travail de son entreprise. Elle peut être réalisée à tout moment pendant l’arrêt de travail, et ne doit surtout pas s’effectuer quelques jours seulement avant la reprise d’activité. De sa précocité dépendra son efficacité. Avec l’accord du salarié, le médecin du travail peut alors entrer en contact avec l’employeur pour étudier le poste de travail. Une phase qui, souvent, met en lumière la nécessité d’adapter le poste en fonction des nouvelles aptitudes physiques et psychologiques de la personne. En l’occurrence, l’installation d’équipements spécifiques peut être envisagée. Ces derniers ont un coût : leurs financements passent par le biais de l’Agefiph(4), ce qui sous-entend une reconnaissance préalable du statut de travailleur handicapé par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Toutes ces démarches prennent du temps, il ne faut donc pas attendre la dernière minute pour solliciter une visite de pré-reprise. En fonction du niveau d’aptitude du salarié à reprendre son activité antérieure, d’autres solutions que celle d’un aménagement matériel de poste peuvent être envisagées pour l’aider à retrouver progressivement sa place au sein de l’entreprise. Parmi celles-ci, le temps partiel thérapeutique (communément appelé « mi-temps thérapeutique »), mesure prescrite par le médecin traitant, de durée limitée et soumise à l’accord préalable du médecin-conseil de la Sécurité sociale et de l’employeur. Convenu en général pour une durée initiale de trois mois, il peut être renouvelé sur accord du médecin conseil jusqu’à une durée d’un an maximum. Pendant cette période, le bénéficiaire continue à percevoir ses indemnités journalières, en plus de son salaire correspondant au temps partiel travaillé, et reprend contact avec sa vie professionnelle, tout en ayant la possibilité de suivre des séances de radiothérapie, de recevoir des soins de support… Enfin, si, à l’issue du temps partiel thérapeutique limité dans le temps, une reprise de l’activité à temps complet s’avère impossible, une mise en invalidité peut être demandée par le médecin traitant auprès du médecin-conseil de la Sécurité sociale, ou décidée par ce dernier de son propre chef, ce qui permet au salarié de continuer à travailler à temps partiel en cumulant éventuellement sa pension d’invalidité avec son nouveau salaire.
Des employeurs humains, ça existe !
Fort heureusement, certains employeurs se montrent plus compréhensifs que d’autres. En la matière, la direction des ressources humaines du quotidien Nice-Matin fait figure d’exemple. Une salariée atteinte d’un cancer du sein a bénéficié d’un soutien irréprochable de ses collègues et de sa direction, depuis l’annonce de sa maladie jusqu’à sa reprise de poste. « En parlant de mon cancer à ma direction, je me suis tout de suite sentie soulagée, car on m’a fait comprendre que l’essentiel était que je pense à moi, raconte l’intéressée. J’ai pu organiser tranquillement la passation de mes dossiers, et les messages très humains que j’ai reçus de mes collègues pendant mon congé maladie m’ont permis de rester connectée au travail, et donc à la vie. En rentrant, j’ai pu reprendre à mi-temps et on m’a protégée de la pression, j’étais très entourée. Au final, cet épisode de ma carrière a sans doute renforcé mes liens avec l’entreprise. » Pour Gérard Cussac, le directeur des ressources humaines de Nice- Matin, accompagner le salarié malade est une évidence, une question de responsabilité pour l’entreprise. « C’est à l’entreprise de s’adapter au collaborateur qui est atteint d’un cancer, et pas l’inverse, explique-t-il. Ce rôle de soutien fait d’ailleurs partie des missions du manager, qui se doit d’accompagner les membres de son équipe, et ce, dans toutes les circonstances. »
Éviter l’effet « double-peine »
Si des solutions existent pour la reprise de la vie active après un long arrêt de travail, les entreprises n’en n’ont que trop peu connaissance, et c’est très souvent au salarié de se renseigner sur les dispositifs en place. La Ligue contre le cancer, avec le Pacte 06 et le travail de sensibilisation qu’elle effectue au niveau national, oeuvre pour une meilleure prise en charge du salarié malade. Cette initiative s’inscrit parfaitement dans le cadre du Plan cancer 2014-2019, dont l’un des piliers est d’« accorder une priorité au maintien et au retour dans l’emploi ».
(1) Enquête VICAN2, 2012 (La vie deux ans après le diagnostic de cancer), publiée dans le rapport 2013 de l’Observatoire sociétal des cancers. (2) Rapport sur le Plan cancer 2014-2019. (3) Analyse économique des coûts du cancer en France, 2007, INCa. (4) Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
Chiffres clés
En France 355 000 nouveaux cas de cancer des personnes sont diagnostiqués chaque année.
1 personne sur 3 perd ou quitte son emploi dans les deux ans après un diagnostic de cancer.
11 % des personnes en activité se sont senties pénalisées professionnellement à cause de leur cancer.
30 % seulement des personnes qui étaient au chômage au moment du diagnostic ont retrouvé un emploi après deux ans.
Plan cancer 2014-2019 : L’un des piliers est d’accorder une priorité au maintien et au retour dans l’emploi. Source : rapport 2013 de l’Observatoire sociétal des cancers publié par la Ligue contre le cancer, 2014.
CHRISTIANE BRETON, médecin du travail
Quel est le rôle du médecin du travail dans la reprise du salarié après un traitement ?
Contrairement au médecin conseil de l’assurance maladie, le médecin du travail tient compte du poste de travail du salarié pour envisager les conditions de sa reprise. Notre rôle consiste à savoir si son état de santé est compatible avec la fonction qu’il occupait avant sa maladie. Dans le cas d’une incompatibilité, c’est à nous d’envisager les moyens à mettre en œuvre pour favoriser son retour au travail.
Comment procédez-vous ?
Pour trouver les meilleures solutions, il faut travailler le plus en amont possible. C’est pourquoi j’encourage le salarié à rencontrer son médecin du travail avant la date officielle de sa reprise, sans attendre d’être convoqué. L’entreprise ne sera pas tenue au courant de ce rendez-vous, qui sera totalement gratuit pour l’employé. Il s’agit simplement de faire le point sur sa situation. Cet entretien permet d’identifier les difficultés potentielles auxquelles le salarié va être confronté à la reprise de son travail et les aménagements qui pourraient être envisagés (mi-temps thérapeutique, installation d’un monte-charge, etc.). En revanche, le médecin du travail doit demander l’autorisation du salarié pour pouvoir en parler à son employeur. C’est seulement sur son accord qu’une discussion pourra s’ouvrir avec l’entreprise. J’attire l’attention sur le fait que, en tant que médecins, nous sommes rigoureusement tenus au secret médical. À ce titre, aucune information sur l’état de santé de la personne ne sera divulguée à son employeur.
Intervenez-vous au-delà de la reprise ?
Oui, nous rencontrons – officiellement cette fois – le salarié dans le cadre de la visite obligatoire de reprise. Les installations spécifiques réalisées pour permettre à l’employé de travailler dans de bonnes conditions doivent également être faites sous notre contrôle. Nous restons ensuite à disposition du salarié s’il souhaite nous faire part d’un nouveau problème. À ce moment-là, il doit solliciter son employeur, qui prendra un rendez-vous pour lui.
GÉRARD CUSSAC, DRH du quotidien Nice-Matin
Quand l’une de vos collaboratrices vous a annoncé qu’elle était atteinte d’un cancer, quelle a été votre réaction ?
J’étais effondré. Il s’agit d’une collaboratrice que j’apprécie et j’étais très triste pour elle. On a le même âge et on travaillait ensemble depuis cinq ans. Je lui ai aussitôt conseillé de s’arrêter le plus tôt possible pour qu’elle puisse se consacrer pleinement à son traitement. J’ai également tenu à la rassurer sur le fait qu’elle retrouverait son poste après son arrêt maladie, qu’il dure plusieurs semaines ou plusieurs mois. Et nous avons organisé ensemble la passation de ses dossiers pendant son absence.
Pendant son traitement, vous êtes-vous manifesté auprès d’elle ?
Tout à fait. Il me semblait important de soutenir notre collègue malade. Cela passe par des gestes simples : un bouquet de fleurs au lendemain de son opération, quelques SMS pour prendre des nouvelles, etc. Il m’a également paru important de la tenir informée de l’évolution de nos projets et de la vie de l’entreprise. Je me disais que cela devait l’aider à se projeter dans un avenir au sein de notre société, et non plus à l’hôpital.
Comment avez-vous préparé son retour au travail ?
Cela a commencé par la validation de son mi-temps thérapeutique pour lui permettre de récupérer en douceur, car elle était encore fatiguée après le traitement. Avec l’équipe, nous avons ensuite tout fait pour que notre collègue se sente le mieux possible. Le jour de son arrivée, nous avons marqué l’événement avec un petit pot d’accueil et nous avons été plus attentifs à elle, nous prenions de ses nouvelles. À ce jour, ma collaboratrice a retrouvé son énergie et sa motivation est toujours aussi forte. Cet épisode douloureux a encore renforcé nos liens professionnels.
VINCENT DELANNOY, 27 ans, surveillant dans un collège
« Mon cancer m’a tout fait perdre, y compris ma promesse d’embauche en CDI. »
Quand j’ai appris que j’étais atteint d’un mélanome, j’étais en contrat de qualification en tant que manutentionnaire dans un hypermarché. Tout se passait bien et on m’avait promis une évolution de carrière, avec un CDI à la clé. Dès l’annonce de ma maladie, j’ai senti un froid, qui s’est confirmé au bout d’un mois et demi, quand je suis rentré de mon arrêt maladie. Ce sentiment s’est confirmé lors de mon entretien de fin de contrat, au cours duquel mon directeur m’a expliqué qu’il n’y avait finalement pas de budget pour m’embaucher. Je suis parti complètement dépité, trop énervé pour me défendre. Trois semaines plus tard, j’apprenais qu’ils avaient recruté mon remplaçant. J’ai extrêmement mal vécu cette période, je me sentais complètement rejeté, inutile. J’ai mis plusieurs mois à m’en remettre.
VALÉRIE DILLIES, 50 ans, secrétaire de direction
« J’ai dû trouver moi-même les solutions pour retravailler. »
Pendant toute la durée de mon traitement suite à un cancer des ovaires, ma DRH n’a pas cessé de me harceler. Elle me demandait quand j’allais rentrer, me sommait de rencontrer le médecin expert, avec qui je me suis entretenue une dizaine de fois… C’était très perturbant pour moi. Elle m’a également reproché le fait que ma maladie compromettait une formation que je devais commencer et dont elle m’a rappelé le prix élevé… Malgré ce contexte, j’ai trouvé beaucoup de compréhension de la part de ma hiérarchie, et j’ai souhaité reprendre le travail au bout d’un an. Aujourd’hui, je m’apprête à suivre un nouveau traitement et je ferai tout pour continuer à travailler, c’est une question de survie.
CARINE DARMAILLACQ, 52 ans, aide à domicile
« Mon statut de travailleur handicapé n’a pas eu d’effet tremplin sur ma carrière. »
Après mon cancer du sein, les rechutes et les opérations, je n’avais plus tellement la force de continuer à travailler auprès de personnes âgées. J’ai donc suivi une formation en informatique et on m’a conseillé de demander l’obtention du statut de travailleur handicapé, pensant que cela faciliterait mon recrutement. Mais cela n’a pas marché, sans doute parce que j’étais trop âgée pour une reconversion. Je suis finalement redevenue aide à domicile et j’ai dû reprendre rapidement, car je ne pouvais plus me permettre de ne pas travailler, financièrement parlant. Mon statut, avantageux pour mon employeur, m’a simplement permis de négocier un meilleur salaire.
MATHIEU KOEHLER, président de Jeunes solidarité cancer (JSC)
« Le cancer retarde souvent l’entrée des jeunes dans la vie active. »
Pour un jeune, le fait d’être touché par la maladie alors qu’il suit toujours des études ou qu’il exerce un premier emploi implique souvent de revoir ses projets professionnels. C’est ce qui m’est arrivé personnellement : ma maladie m’a fait perdre les rares premiers contacts que j’avais avec le milieu professionnel auquel je me destinais. J’ai dû alors reprendre mes études pour me réorienter. Se pose aussi la question du discours à adopter face à un employeur : le jeune doit-il parler de sa maladie ? Bien souvent, le cancer installe une peur du regard de l’autre. Mais je pense aussi que le fait d’assumer pleinement cet épisode de la vie peut contribuer à le faire accepter.
PATRICIA DEFRIZE, 49 ans, assistante de gestion
« Les relations de confiance que j’avais avec mon employeur ont volé en éclats. »
En vingt ans passés dans la même société, j’ai toujours eu de très bonnes relations avec mon employeur. Nous échangions souvent sur le ton humoristique, mais quand je lui ai annoncé que j’avais un cancer des deux seins, je n’avais plus du tout envie de rire. Lui ne l’a pas compris, et j’ai eu droit à beaucoup de blagues de très mauvais goût sur le sujet. Là où j’ai définitivement perdu mon sens de l’humour, c’est quand il a décidé de ne plus payer mon complément de salaire alors que j’étais arrêtée et sous chimiothérapie. Comme nous avons toujours communiqué, j’ai cherché à le joindre régulièrement par téléphone et par mail, puis à faire les démarches pour qu’il mette à jour mon dossier de prévoyance, etc. Lui restait totalement indifférent. Pour continuer à vivre, j’ai dû emprunter de l’argent à ma famille, et cette histoire a duré des mois alors que je me battais contre la maladie et qu’on m’avait retiré les deux seins. Au final, il me devait 15 000 euros. À bout de nerfs, j’ai même fini par me déplacer pour le rencontrer et m’expliquer avec lui, mais il a continué de nier la situation. Dépitée, j’ai dû prendre un avocat pour l’attaquer aux prud’hommes. J’ai gagné le procès, mais mon patron a fait appel de la décision et, deux ans après, cette affaire n’est toujours pas réglée. Mon entreprise envisage de lancer une procédure de licenciement à mon égard, mais ce n’est rien comparé à l’immense rage et à la déception que je ressens. Quand bien même on m’explique que la personne pour laquelle je travaille depuis vingt ans a dû réagir de la sorte parce que ma maladie lui a fait peur, je ne parviens pas à l’excuser.
PHOTOS BRUNO LEVY
PARTENARIAT CARSAT/LA LIGUE
Unis pour améliorer l’avenir des personnes malades
Le service social de l’assurance maladie, via les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), s’unit avec la Ligue contre le cancer au travers d’un partenariat pilote. À la clé : un meilleur accompagnement pour les personnes malades pendant et après le cancer.
Mieux travailler ensemble pour assurer un meilleur service aux personnes malades, tel est l’objectif du partenariat qui se construit, depuis 2010, entre une trentaine de Comités départementaux de la Ligue contre le cancer et les Carsat de cinq grandes régions. Ainsi, des rencontres nationales et régionales ont permis à chacun d’apprendre à se connaître et des liens solides ont pu être noués en Aquitaine, Bourgogne Franche- Comté, Île-de-France, Normandie (Haute- et Basse-), et Pays-de-la- Loire. « Ce rapprochement nous permet de renforcer notre connaissance réciproque du champ d’intervention et de l’offre de services de chacun pour aboutir à une meilleure information des personnes malades et une meilleure coordination dans l’accompagnement proposé », explique Nathalie Roy, chargée de projets à la Délégation actions pour les malades au sein de la Ligue contre le cancer.
Des actions déjà visibles
Concrètement, ce partenariat s’appuie sur quatre axes : l’information ; l’orientation des personnes malades et la sensibilisation des acteurs ; le maintien et le retour à domicile ; l’insertion ou la réinsertion professionnelle et les aides financières. « Ce partenariat nous permet de mettre la complémentarité de nos expertises au service des personnes, précise Nathalie Coucaud, responsable territoriale au sein de l’antenne 95 de la CRAMIF(1), l’équivalent des Carsat en Île-de-France. Par exemple, nos assistant(e)s social(e)s gèrent le suivi individuel des assurés, ce qui peut impliquer le dépôt d’un dossier de surendettement, l’encouragement à se rapprocher du médecin du travail pour préparer une visite de pré-reprise, etc. Et face à des personnes en détresse, nous pouvons mobiliser le psychologue du Comité départemental de la Ligue, ce qui complète leur prise en charge et évite les ruptures de parcours. »
Mieux lutter contre la désinsertion professionnelle
Sur le volet important de la vie professionnelle, différentes initiatives s’inscrivent dans ce partenariat, tels que les ateliers d’aide au retour à l’emploi. Le principe : proposer aux personnes atteintes d’un cancer, et qui bénéficient d’un suivi individuel au sein d’une Carsat ou de soins de support à la Ligue contre le cancer, de participer à des rencontres collectives. Plusieurs intervenants peuvent être mis à leur disposition, selon les régions : un médecin du travail, un conseiller Sameth(2) qui fait le relais avec l’Agefiph(3) pour les travailleurs handicapés, un représentant Fongecif(4) pour orienter vers des offres de formation et de bilan de compétences, le DRH d’une entreprise… « Ces rencontres connaissent souvent un grand succès, raconte Nathalie Coucaud. Elles motivent les participants, leur permettent d’exprimer librement leurs craintes et leur donnent un accès à de nombreuses informations, souvent difficiles à trouver, qui peuvent les aider à construire leur avenir professionnel. »
Un premier bilan engageant
Expérimenté dans cinq régions, ce partenariat va faire l’objet d’un bilan, permettant de dégager les axes forts qui donneront lieu à un accord cadre national. « Nous constatons déjà que chaque acteur concerné a amélioré sa connaissance des rôles et missions de chacun, analyse Nathalie Roy. De vraies complémentarités d’actions se mettent en place pour faciliter le parcours des personnes malades. »
(1) Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France. (2) Service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés. (3) Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. (4) Fonds de gestion des congés individuels de formation.
En savoir +
Vous pouvez contacter le service social des Carsat au 36 46 (prix d’un appel local depuis un poste fixe).
LES 5 RÈGLES D’OR POUR UN RETOUR AU TRAVAIL RÉUSSI
Rester en contact avec son entreprise et ses collègues pendant l’arrêt maladie.
Ne pas revenir trop tôt, au risque de devoir s’arrêter de nouveau.
Anticiper la reprise du travail au plus tôt après les traitements lourds.
Informer le médecin du travail de sa situation et demander une visite de préreprise pour anticiper les conditions de retour au travail.
Être soutenu lors de la reprise par l’adaptation des modalités de travail à ses besoins*.
* Temps partiel thérapeutique, bilan de compétences, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour bénéficier d’aménagements de poste, etc.