Le docteur Julien Gelly, médecin généraliste à Saint-Ouen (93) et maître de conférences des universités à Paris Diderot, évoque son rôle auprès d’une de ses patientes touchées par le cancer.
DOCTEUR GELLY, 33 ANS
Quand Suzanne D., une mère de famille dont je suis le médecin traitant, est venue me montrer un volumineux ganglion au niveau de l’aine, j’ai très vite pensé à une récidive de son cancer du côlon. Elle-même redoutait manifestement cette éventualité. À 65 ans, elle avait été très marquée par sa première expérience de la maladie cancéreuse. Elle ne se sentait pas capable de faire à nouveau face aux effets secondaires des traitements, et aux conséquences sur sa vie quotidienne. Sans chercher à être particulièrement rassurant ou inquiétant, je me suis attaché à ce qu’elle se sente prise en charge au mieux. J’ai donc pris rapidement l’initiative de lui faire quelques examens qui ont confirmé la récidive du cancer. J’ai ensuite pris contact par téléphone, en présence de la patiente, avec son gastroentérologue. Il a été très compréhensif et a proposé de la voir en consultation dans les plus brefs délais. Je crois qu’elle s’est alors sentie rassurée par la mise en place de ce lien.
Entre les séances de chimiothérapie, Suzanne D. est venue me voir régulièrement dans le centre de santé où je travaille. Les consultations ne se bornaient pas seulement à la gestion des effets secondaires des traitements ou des complications de la maladie. Elle m’a consulté pour une thrombose veineuse et, une autre fois, pour une diarrhée importante, dont la prise en charge en urgence a été à chaque fois facilitée par les liens que nous avions tissés avec les soignants qui la suivaient à l’hôpital. En réalité, il était plus souvent question de la manière dont elle vivait cette épreuve, et j’étais finalement rarement amené à l’examiner. Elle cherchait simplement du réconfort et à être rassurée. Cette alternance entre l’écoute et les soins du corps a peut-être participé à l’apaiser. Sans compter que son mari a toujours été très présent. Ensemble, nous accompagnons encore Mme D., dont les traitements sont toujours en cours.
Dans le cas de Mme D., ma relation avec l’oncologue, le gastro-entérologue et toute l’équipe qui la suivaient à l’hôpital a été optimale. J’ai reçu tous les documents nécessaires à son suivi dans un délai raisonnable : les courriers, les résultats d’examens, les comptes rendus de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP)… Pour un médecin généraliste, ces informations sont capitales (et pas uniquement dans le cadre d’un cancer). Elles sont tout simplement indispensables pour suivre un patient, et comprendre une situation potentiellement grave lors d’une consultation entre deux séances de chimiothérapie. Malheureusement, bien souvent, le lien entre le médecin généraliste et l’hôpital est beaucoup plus difficile à établir. Il arrive très régulièrement que les informations ne me parviennent pas. Ce défaut de communication peut avoir des conséquences qui vont à l’encontre du bien-être du malade.
Mme D. est régulièrement venue me voir au centre de santé alors qu’elle était prise en charge à l’hôpital, mais peu de patients touchés par le cancer maintiennent ce lien avec leur médecin traitant. Pendant plusieurs mois, ils subissent des traitements lourds et de nombreux examens. Il est donc tout à fait légitime qu’ils ne veuillent pas augmenter encore l’attention portée à leur corps en souffrance, en continuant à aller voir leur médecin généraliste. D’où l’importance que l’hôpital me tienne au courant de l’évolution de la situation de mes patients, malgré cette prise de distance temporaire. Généralement, nos contacts reprennent après la fin des traitements, ou même après plusieurs années de suivi en cancérologie. Et quand ils reviennent, je dois veiller à maintenir un équilibre fragile : les soigner comme des patients ayant eu une maladie grave, mais ne pas oublier de les prendre en charge comme mes autres patients. Les personnes ayant eu un cancer ont souvent de longues années devant eux. Elles doivent bénéficier de nombreux conseils ou mesures de prévention (sur la consommation de tabac par exemple).
Après un cancer, la reprise de la vie professionnelle est un chemin parfois semé d’embûches pour mes patients, mais également pour moi. Mon rôle consiste à les accompagner dans leurs démarches : arrêts de travail, reconnaissance du statut de travailleur handicapé… Certains subissent des procédures de licenciement abusives. Seulement, ma formation initiale a très peu intégré l’intérêt de cette dimension administrative. Depuis que je suis médecin généraliste, mes échanges avec les assistantes sociales de secteur m’ont permis de mieux l’appréhender, mais ce travail prend du temps. Et il devrait être davantage formalisé pour éviter certains écueils préjudiciables aux patients. Pour les accompagner dans le retour à une vie sociale et professionnelle de qualité, ces démarches médico-administratives pourraient être anticipées, en collaboration avec les services hospitaliers et les professionnels qui ont pris en charge la maladie cancéreuse. Tout le monde y gagnerait.
Ce qu’il faut savoir
Le programme personnalisé de soins (PPS) Remis à tous les malades au début de leur prise en charge, le programme personnalisé de soins est un document d’information sur l’accompagnement thérapeutique et social du patient. Avec l’accord de ce dernier, le PPS est transmis au médecin traitant, accompagné du compte rendu anatomopathologique ayant permis de diagnostiquer le cancer. Il comprend, a minima, les informations relatives au malade et à l’établissement de santé de référence, le volet « soins » (traitement, comptes rendus, etc.), le volet social (bilan social, information sur l’emploi, etc.) et les contacts utiles (médecins, infirmières, etc.). Le rôle du médecin généraliste dans le Plan cancer 3 Le Plan cancer 3 (2014-2019) prévoit que le médecin généraliste contribue à ce que chaque personne nouvellement diagnostiquée puisse obtenir, dans un délai court, un rendez-vous avec une équipe de cancérologie pertinente. Autre mesure : l’expérimentation d’organisations permettant une réelle articulation entre l’équipe de premier recours, dont le généraliste, et l’hôpital, ainsi qu’une juste valorisation de l’implication de chacun des acteurs. Dans le Plan cancer 3, le généraliste est également mobilisé sur le terrain de la prévention, en particulier dans le dépistage du cancer du col utérin, aux côtés des gynécologues et des sages-femmes.
PHOTO BRUNO LEVY