Les aidants, ces combattants très discrets

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Admirés par leur entourage, les aidants sont aussi souvent désespérés, exténués, perdus, peu soutenus. Si de grands progrès ont été réalisés sur la relation médecin-malade, trop peu de solutions existent pour soulager les aidants. Et pourtant, toujours plus de charges semblent peser sur leurs épaules.

par Corinne Drault

 

«Sans mes proches, je ne m’en serais jamais sorti tout seul », disent souvent les malades. En effet, derrière la plupart des personnes atteintes de cancer, il y a un aidant, parfois plusieurs, dont le soutien moral, technique, social et financier est très précieux pour le malade. À distinguer des aidants professionnels tels que les infirmières, les aides à domicile, les psychologues ou encore les assistantes sociales, les aidants dits « naturels » sont le plus souvent un membre de la famille, un ami, un voisin, un collègue… En France, une personne sur dix aide actuellement un proche touché par le cancer et 38 % des Français déclarent avoir aidé un malade du cancer dans les cinq dernières années(1). S’ils sont souvent silencieux, dans l’ombre de leur proche malade, les aidants sont donc bien présents. Et les difficultés qu’ils rencontrent pour être à la hauteur des missions qu’on leur assigne sont, elles aussi, bien là.

 

Un malade, des aidants

Dans le cadre de l’Observatoire sociétal des cancers publié en juin 2016, l’enquête menée par la Ligue contre le cancer avec Ipsos auprès de 5 010 aidants (voir encadré page 38) a permis de distinguer quatre grandes catégories d’aidants, classées selon leur niveau d’implication. En première ligne, l’aidant unique intervient seul et quotidiennement auprès du malade, qui est d’ailleurs souvent son conjoint, son parent ou son enfant. Cette situation, qu’on imagine difficile, n’est pourtant pas rare, puisque 10 % des personnes interrogées entrent dans cette catégorie. Vient ensuite l’aidant principal : également très impliqué auprès d’un malade, souvent quotidiennement, il trouve parfois un relais auprès d’autres aidants. L’aidant secondaire, quant à lui, vient régulièrement aider la personne malade, mais ponctuellement, en appui d’autres proches plus impliqués. Enfin, l’aidant occasionnel intervient plus rarement. Il peut s’agir d’un collègue, d’un voisin, d’un enfant éloigné, qui permet au malade de conserver un lien avec l’extérieur. Selon son niveau d’implication, mais aussi les possibilités et l’état de santé de la personne malade, l’aidant peut être amené à intervenir dans de nombreux domaines : tâches administratives, aide au ménage, à la cuisine, à la toilette, à l’habillement, à l’observance des traitements, accompagnement aux rendez-vous médicaux, aux séances de chimiothérapie, soutien psychologique, maintien du lien social… « Les aidants ont des profils différents, mais ont des points communs, explique Laurent Pointier, chargé de mission « Société et Politique de santé » à la Ligue. Ils n’ont pas choisi d’être aidants et aucun n’a été préparé à l’être. » Pour bon nombre d’entre eux, le fait d’accompagner leur proche est un devoir, une évidence. « J’ai simplement été une fille avec son père, et une amie avec une amie. On se doit de le faire », dit une aidante. Bien souvent aussi, les aidants sont désignés comme tels par leur entourage. « Nous vivons dans une société qui juge et qui assigne, analyse Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants. Je me souviens de cette femme, veuve, qui avait été désignée par ses frères et sœurs comme LA personne devant s’occuper de leur parent malade. Évidemment, elle vivait très mal cette situation, mais il aurait été trop culpabilisant pour elle de refuser ce rôle que sa famille lui attribuait. »

 

Une présence souvent jugée indispensable

Une ancienne malade parle de son aidante : « Sans elle, je ne serais plus là. J’aurais probablement baissé les bras. Je ne suis pas certaine que j’aurai eu suffisamment de combativité pour tenir. » Les malades qui ont eu la chance de bénéficier du soutien de leurs proches le reconnaissent : cette aide n’est pas un luxe. Et avec le développement de l’hospitalisation à domicile, mais aussi le choix de certaines personnes malades qui, confrontées à la fin de vie, préfèrent revenir à leur domicile près de leur famille, plutôt que dans une structure de soins, le rôle de l’aidant s’accroît surtout quand le malade perd son autonomie. Selon le niveau de dépendance du proche malade, la présence de l’aidant à ses côtés est bien souvent vécue par lui comme une obligation. Il est aussi sollicité implicitement par les professionnels de santé. « Ces derniers se reposent beaucoup sur l’aidant, confirme Laurent Pointier. Au moment de l’annonce de son cancer par exemple, le malade est tellement sidéré par la nouvelle qu’il n’entend pas ce que le médecin lui explique. Le proche, présent lors de l’entretien, est lui aussi sous le choc, mais le professionnel de santé l’investit alors d’une mission : écouter pour mieux reformuler au malade les informations qui concernent son diagnostic, son traitement… Ensuite, l’aidant est également sollicité lors des phases aiguës de la maladie, voire en cas d’éventuelle récidive. »

 

Des victimes silencieuses

« À la fin, j’avais l’impression d’être un zombie », explique cette femme qui a accompagné son mari malade pendant plusieurs années, jusqu’à tout faire pour lui, de la cuisine à la toilette. Les aidants principaux, ceux qui interviennent quotidiennement auprès d’un malade, sont souvent exténués, stressés et souffrent d’avoir dû mettre leur vie sociale et/ou professionnelle de côté. Bien souvent, leur mobilisation les empêche de prendre du temps pour eux afin de se divertir, faire une pause nécessaire ou même aller chez le médecin. « Les tâches que les aidants assument détériorent leur santé sur le plan physique et psychologique, estime Laurent Pointier. Certains font de véritables burn-out. » Mais certains aidants trouvent également dans cette « mission » une source de bien-être, d’émancipation, une fonction sociale dans laquelle ils s’épanouissent. Pour ceux-là, la plus grande difficulté réside dans l’après-cancer. Quand leur proche guérit ou qu’il est emporté par la maladie, ils sont soudainement dépossédés d’un rôle qui donnait un sens à leur investissement. C’est pourquoi les aidants ne peuvent et ne doivent pas tout faire. « Ils n’ont pas vocation à se substituer aux professionnels de l’aide et des soins, précise Florence Leduc. Ils ont juste à rester des proches et à continuer à être ce qu’ils sont pour la société ! » Et pourtant, avec le développement des chimiothérapies à domicile, de la chirurgie ambulatoire et le développement accru de la radiothérapie ciblée qui espacera le nombre de séances, les patients vont encore plus qu’aujourd’hui être soignés chez eux, mobilisant ainsi davantage leur entourage. Telle est la projection réalisée par l’étude Unicancer de 2013, intitulée « Quelle prise en charge des cancers en 2020 ? (2) ». « L’hospitalisation à domicile apporte un réel confort pour le malade et permet de réaliser des économies pour le système de santé, mais les proches, eux, vont directement être impactés par les conséquences de la généralisation de ce type de dispositif », ajoute Laurent Pointier.

 

Des aides pour les aidants

Pour épauler les personnes qui essaient de concilier leur vie professionnelle et leur vie d’aidant – souvent très chronophage et faite d’imprévus –, plusieurs types de congés et d’allocations existent. Le congé de présence parentale s’adresse aux salariés ayant un enfant gravement malade ou handicapé à charge. Il est assorti de l’allocation journalière de présence parentale. Ces mesures sont valables pour une durée maximale de trois ans. Le congé de solidarité familiale s’adresse quant à lui aux salariés accompagnant un membre de leur famille dans une phase très avancée de la maladie, voire en fin de vie. Il s’agit d’un congé de trois mois, renouvelable une fois, comportant une allocation journalière d’accompagnement de personne en fin de vie n’excédant pas vingt et un jours. « Il existe également le congé de soutien familial et, pour l’aide aux personnes malades, la prestation de compensation du handicap (PCH) et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), même si ces deux dernières prestations n’ont pas été conçues explicitement pour les malades atteints de cancer », précise Laurent Pointier. Pour compléter ces mesures, la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement traite pour la première fois des aidants dans un texte légal et leur reconnaît un rôle complémentaire à celui des professionnels. Ce texte prévoit un dispositif qui s’articule autour de trois axes. Le premier, la reconnaissance d’un droit au répit pour les aidants dans le cadre de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) finance l’accès à des solutions temporaires permettant de soulager l’aidant. Il s’agit d’heures supplémentaires d’aide à domicile, voire d’une présence continue, mais aussi d’un accueil de jour ou d’un hébergement temporaire pour le malade. Pour financer ces prestations, une enveloppe pouvant aller jusqu’à 500 euros par année et par aidé est attribuée sous conditions. Le deuxième axe de cette loi élargit les dispositifs de formation et d’accompagnement des aidants. Il renforce les moyens de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à hauteur de 5 millions d’euros par an, pour assumer un rôle d’appui méthodologique sur l’accompagnement des aidants et élargir son champ d’action à des initiatives de type « Café des aidants », qui permettent aux aidants de se rencontrer et d’échanger. Enfin, le troisième pilier vise à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et rôle d’aidant. Il prévoit notamment de transformer le congé de soutien familial en congé de proche aidant.

 

Un besoin de soutien adapté

« On attribue beaucoup de devoirs aux aidants, mais on leur reconnaît peu de droits », estime Laurent Pointier. « Le plus étonnant, c’est que les aidants ne se plaignent jamais, ne revendiquent aucun besoin pour eux-mêmes », renchérit Emmanuel Jammes, délégué « Société et Politique de santé » au sein de la Ligue. Mais, à y regarder de plus près, notamment grâce au travail réalisé par la Ligue avec Ipsos pour l’Observatoire sociétal des cancers, certains signes montrent que le cancer dégrade non seulement la vie des personnes malades, mais aussi celle des aidants, qui sont, pour les plus impliqués d’entre eux, plus fatigués et stressés que la moyenne nationale, mais également appauvris par les conséquences de la maladie. « 56 % des aidants apportent une aide financière à leur proche malade, le plus souvent pour pallier la perte de revenus de celui-ci (1), explique Emmanuel Jammes. Et les aides proposées ne sont pas toujours adaptées au cancer et à la chronicité de cette maladie. » En effet, le cancer – contrairement à la maladie d’Alzheimer où la santé du malade se dégrade inéluctablement jusqu’au décès – est fait de hauts et de bas souvent imprévisibles, de moments où le malade et ses proches ont plus besoin de soutien qu’à d’autres moments. « C’est pourquoi les solutions de répit ponctuelles, tels que les vacances ou les relais de nuit, ne sont pas demandées par les aidants de malades confrontés au cancer, ajoute Emmanuel Jammes. Ces derniers veulent des informations fiables, qui leur correspondent, et soient disponibles au moment où ils en ont besoin. Ils disent aussi qu’ils ont besoin de voir leur proche malade soutenu par d’autres intervenants qu’eux-mêmes. »

L’aide aux malades pour soulager les aidants

Aux côtés des malades et de leurs proches depuis sa création, la Ligue contre le cancer se saisit pleinement de la question des aidants. L’enquête qu’elle a menée dans le cadre de l’Observatoire sociétal des cancers est d’ailleurs un outil de compréhension de ce sujet pour mieux l’appréhender et mener des actions ciblées en direction des aidants, au plus près de leurs attentes. Nous l’avons vu, aider les malades constitue une première piste pour soulager les aidants. Et un aidant qui conserve sa forme, qui peut déléguer et se reposer sur des professionnels, offre forcément un soutien de meilleure qualité à son malade. « La Ligue souhaite contribuer à la mise en place de ce cercle vertueux, complète Emmanuel Jammes. Comment ? En apportant par exemple aux malades des soins de support de proximité et en faisant intervenir nos bénévoles auprès d’eux. » La Ligue réfléchit également aux meilleurs moyens d’informer les malades et leurs proches sur le cancer qui les concerne, sur ses spécificités, pour qu’ils puissent anticiper au mieux les conséquences de la maladie. « Il y a aussi des efforts à réaliser en entreprise, où l’on sensibilise sur les questions liées aux salariés malades, mais pas sur celles liées aux aidants », poursuit Emmanuel Jammes. Parce que chacun d’entre nous peut être amené à être un aidant un jour et que cette situation tend à s’intensifier, brisons le silence ! 

 

(1) Rapport 2015 de l’Observatoire sociétal des cancers : Les aidants, les combattants silencieux du cancer, publié par la Ligue en juin 2016. Téléchargeable sur www.ligue-cancer.net

(2) Unicancer, Quelle prise en charge des cancers en 2020 ?, 2013, 32 p. Téléchargeable sur  : www.unicancer.fr/sites/default/files/DP_UNICANCER_6_tendances_prise_en_charge_cancers_2020.pdf

 

 

UNE ASSOCIATION DEDIEE AUX AIDANTS

 

Créée en 2003, l’Association française des aidants milite pour la reconnaissance de la place des aidants non professionnels dans la société. Présidée par Florence Leduc, elle accompagne les aidants, quels que soient leur profil et la maladie de leur proche. Pour cela, elle a mis en place des activités implantées au sein de structures et collectivités partenaires : ateliers santé des aidants, cafés des aidants, formationsLassociation a également créé des outils dédiés, notamment pour le repérage de la situation des aidants, et coopère avec de nombreux interlocuteurs. «Groupes de protection sociale, associations…Nous n’existons pas sans les autres, rappelle Florence Leduc. Dans une société qui juge et qui assigne un rôle aux aidants, il faut pouvoir proposer à ces derniers l’accompagnement dont ils ont besoin et les informer sur les services professionnels dont ils peuvent bénéficier. »

 

En savoir +

www.aidants.fr

 

LES «CAFES DES PROCHES» DE LA LIGUE

Les Comités départementaux de la Ligue contre le cancer ne reçoivent pas uniquement les personnes malades, ils viennent également en aide à leurs proches. Les Comités de Meurthe-et-Moselle et de Corrèze organisent pour eux les «cafés des proches». Une fois par mois, ces rendez-vous réunissent cinq à six proches de personnes malades atteintes de cancer autour dune thématique qui les concerne directement : leurs droits, leur vie professionnelle…Au sein du Comité, un travailleur social et un psychologue les écoutent et répondent à leurs questions. «Sans la présence de leur proche malade, et dans un climat de confiance et de confidentialité, les participants peuvent exprimer leurs craintes, leurs angoisses, leur tristesse, explique Jean-Pierre Pilon, directeur du Comité de Meurthe-et-Moselle de la Ligue. La plupart dentre eux évoquent le poids de la maladie non partagé.» Entre aidants, chacun peut partager son vécu et rompre, au moins pendant deux heures, la solitude liée à sa situation.

 

OBSERVATOIRE SOCIETAL DES CANCERS : LES TROIS PHASES DE L’ETUDE

Afin de cerner la réalité des aidants dans toutes ses dimensions, la Ligue a mené, avec Ipsos, une étude complète en trois phases. La première a consisté à interroger 2 149 Français selon un panel représentatif de la population, du 11 au 15 décembre 2015. L’objectif : cadrer le sujet et évaluer le véritable poids des aidants de malades atteints de cancer en France. Dans une deuxième phase, du 23 décembre 2015 au 22 janvier 2016, une enquête quantitative a été réalisée sur 5 010 aidants. En parallèle, une troisième enquête, qualitative cette fois, sest appuyée sur des entretiens, réalisés notamment avec 20 binômes aidant/malade, chacun interrogé séparément. La synthèse de ces trois enquêtes, présentée dans l’Observatoire sociétal des cancers, est disponible sur le site www.ligue-cancer.net de la Ligue.

 

QU’EST-CE QU’UN AIDANT ? LA DEFINITION DE LA HAUTE AUTORITE DE SANTE :

«Les aidants dits naturels ou informels sont les personnes non professionnelles qui viennent en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non et peut prendre plusieurs formes, notamment le nursing, les soins, laccompagnement à la vie sociale et au maintien de l’autonomie, les démarches administratives, la coordination, la vigilance permanente, le soutien sychologique,la communication, les activités domestiques, etc. »

 

 

MARIO DI PALMA,  oncologue responsable du département ambulatoire à l’Institut Gustave Roussy

«Il faut reconnaître l’engagement des aidants. »

 

 

 

Environ 5millions de Français aident un proche touché par le cancer, et 62 % d’entre eux exercent une activité professionnelle.

 

48 % 52 % d’hommes et de femmes constituent la population d’aidants.

 

10 % d’entre eux aident seuls leur proche malade.

 

35 % d’entre eux ont déjà accueilli leur malade chez eux ou se sont installés chez lui.

 

1h54 C’est le temps que consacrent en moyenne par jour les aidants les plus impliqués auprès de leur proche malade.  

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