L’équipe labellisée par la Ligue contre le cancer, dirigée par Karin Tarte (U917 Inserm « Microenvironnement et Cancer », Université de Rennes 1), développe une nouvelle stratégie de traitement du lymphome folliculaire. Cette approche se fonde sur l’utilisation de cellules immunitaires modifiées pour produire une molécule thérapeutique au contact des cellules malades.
par Corinne Drault
L’immunothérapie anticancéreuse est une approche thérapeutique qui consiste à stimuler les défenses immunitaires pour lutter plus efficacement contre la maladie. Plusieurs stratégies d’immunothérapie sont envisageables. L’une d’entre elles consiste à « éduquer »
certaines cellules immunitaires du patient, des lymphocytes T, afin qu’elles reconnaissent spécifiquement les cellules tumorales et s’attaquent à elles. Pour ce faire, les lymphocytes T sont modifiés génétiquement au laboratoire, afin d’être dotés d’un récepteur antigénique chimérique (en anglais, Chimeric Antigen Receptor ou CAR), leur permettant de reconnaître spécifiquement les cellules tumorales qu’elles peuvent ensuite tuer. Des traitements expérimentaux exploitant ces cellules modifiées, ou cellules CAR-T, ont fait l’objet d’essais cliniques depuis ces cinq dernières années – surtout dans le domaine des cancers du sang – avec, à la clé, des résultats parfois très impressionnants. Retentissants, ces succès doivent toutefois être relativisés. « En réalité, un nombre limité de patients répondent aux traitements utilisant des cellules CAR-T. Si des taux exceptionnels de guérison sont atteints dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, les guérisons sont moins nombreuses pour ce qui est des autres leucémies et des lymphomes », précise Karin Tarte, professeur d’immunologie à l’Université de Rennes 1 et directrice de l’UMR MICA. Pourtant, Karin Tarte et son équipe ont eu l’idée de développer un traitement du lymphome folliculaire en utilisant des cellules CAR-T d’un nouveau type, conçues afin de produire et de libérer une molécule anticancéreuse au contact des cellules malades.
Preuve de concept
« Nous avons modifié des cellules CAR-T afin qu’elles produisent et sécrètent une molécule antitumorale, la protéine HVEM », rapporte Karin Tarte. Pourquoi HVEM ? « Nos travaux nous ont permis d’observer que le gène qui code pour la protéine HVEM est fréquemment muté dans les cellules cancéreuses des patients atteints de lymphomes folliculaires, précise la chercheuse. Or, HVEM est une protéine régulatrice, dont la perte active directement la prolifération des cell ules à l’origine du lymphome et contribue à la création d’un microenvironnement propice au développement tumoral. » En collaboration avec leurs collègues new-yorkais dirigés par Hans-Guido Wendel au Memorial Sloan Kettering Center – l’une des équipes les plus en pointe dans l’étude de la génétique des lymphomes et des leucémies –, les chercheurs rennais ont donc utilisé les cellules CAR-T afin de restaurer l’activité régulatrice antitumorale de la protéine HVEM.
La stratégie s’est révélée payante : « Chez des souris porteuses de lymphome folliculaire, nous avons montré que nos cellules CAR-T modifiées sont plus efficaces pour détruire les tumeurs que des CAR-T “de base” ne produisant pas la protéine HVEM », souligne Karin Tarte.
Micropharmacie vivante
Ce résultat, qui a récemment donné lieu à une publication dans la prestigieuse revue Cell(1), valide le concept de cellules CAR-T productrices d’une molécule antitumorale. Des cellules CAR-T, que Karin Tarte et ses coauteurs décrivent comme des « micropharmacies ». Quoi qu’il en soit, beaucoup de travail reste à réaliser avant que cette nouvelle stratégie débouche sur un traitement. « Des débouchés cliniques verront certainement le jour, mais pas avant cinq ans », estime Karin Tarte. De fait, l’utilisation thérapeutique des cellules CAR-T commence juste en France, en raison notamment des exigences réglementaires très renforcées sur les recherches en thérapies géniques et cellulaires. Un premier essai clinique, utilisant des cellules CAR-T « de base » va démarrer, notamment au CHU de Rennes, pour soigner des patients atteints de lymphomes Folliculaires.
(1) M. Boice, D. Salloum, F. Mourcin, et al., Cell 167, 2016, 405-418.
Les marquages fluorescents rouge et vert correspondent à différents types de cellules qui constituent le microenvironnement de la tumeur. L’intensité plus forte des deux marquages dans la tumeur ayant perdu HVEM reflète une hyperactivation de ces cellules qui est propice au développement tumoral. Images obtenues par microscopie confocale.