Médecines alternatives et cancer
Il ne faut pas croire aux miracles
Tentées par des « soins miracles », de nombreuses personnes malades tournent le dos aux traitements conventionnels, pourtant seuls à même de combattre le cancer. Deux études américaines récentes montrent à quel point il est important de faire confiance à la médecine dite classique. Pour autant, les soins de support (yoga, acupuncture, etc.) peuvent être d’un apport certain pour les malades. Explications et décryptage.
PAR JULIEN THÈVES
« Il y a d’un côté la médecine alternative et de l’autre, la médecine complémentaire, souligne d’emblée le professeur Simon Schraub, cancérologue, administrateur national à la Ligue contre le cancer et auteur de plusieurs études sur le sujet. La médecine alternative prétend guérir le cancer en lieu et place des soins conventionnels (radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie et chirurgie). La médecine complémentaire, elle, vient en complément des traitements conventionnels. Plus généralement, on parle aussi de médecine parallèle ou de médecine non prouvée. Partout sur la planète, des patients ont recours à ces thérapies annexes qui leur permettent de mieux supporter les traitements et, souvent, d’avoir l’impression d’être plus forts face à la maladie. Pour autant, soyons clairs : seuls les traitements conventionnels permettent de guérir du cancer. »
Quelles sont ces médecines « autres » que tant de personnes – 60 % en France – privilégient lorsqu’elles sont atteintes d’un cancer ? Il s’agit essentiellement d’homéopathie, de compléments alimentaires, de vitamines et d’acupuncture. Les patients ont parfois recours à l’auriculothérapie, à des régimes stricts (jeûne, cure de raisin, régime huile-protéine, régime macrobiotique…), à des remèdes à base de plantes ou à l’imposition des mains d’un magnétiseur. Beaucoup pratiquent le yoga ou la méditation, certains se tournent vers la prière ou préfèrent les massages. D’autres enfin épousent des soins plus « ésotériques », comme l’iridologie (bilan de santé établi à partir de l’examen de l’iris), la stimulation du système immunitaire via la « thérapie cellulaire », la stimulation aérobie de la cellule cancéreuse (« traitement par l’ozone ») ou la « nouvelle médecine germanique » (officiellement qualifiée de charlatanisme). Sur le marché, les médecines complémentaires pullulent mais, d’après le professeur Schraub, « seuls le yoga et l’acupuncture ont vu leur efficacité validée par la science. L’acupuncture réduit les nausées dues à la chimiothérapie et le yoga participe à l’amélioration de la qualité de vie générale du patient. En ce qui concerne l’homéopathie, je n’ai rien contre et je n’interdirai jamais à un patient de consommer quelques granules en plus de son traitement. Mais je mets en garde contre ce qui peut contrecarrer l’efficacité des soins classiques : à haute dose, certains remèdes à base de plantes, par exemple, interagiront avec la chimiothérapie et la rendront moins efficace. »
Attention aux « traitements miracles »
Le cancer est une telle épreuve que de nombreux patients sont tentés de se tourner vers des soins « différents », qu’ils imaginent salvateurs ou moins ravageurs que les traitements classiques. La chimiothérapie et ses effets secondaires font peur, la maladie et la perspective de la mort encore plus. « Face à un danger que nous ne maîtrisons pas, nous sommes tous effrayés. Cela nous rend fragiles et influençables », reconnaît Simon Schraub. C’est pour cela que l’Institut national du cancer (INCa) et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ont récemment édité un document qui met en garde les patients contre les prétendus « traitements miracles ». Vulnérables, les personnes malades peuvent être approchées de multiples manières par des personnes ou des organisations qui cherchent à profiter de leur désarroi. Sur Internet, via le bouche à oreille ou par le biais de prospectus déposés dans les salles d’attente de médecins, des méthodes présentées comme plus efficaces que les traitements classiques sont mises en avant. Face à elles, les patients sont incités à la plus grande prudence, surtout si les promoteurs de ce genre de pratiques dénigrent les traitements classiques, recommandent de les arrêter, voire conseillent au patient de rompre avec son médecin traitant ou ses proches. Attention à ne pas verser d’argent tout de suite, à ne pas acheter de « machine qui guérit » ni à se laisser convaincre par des séances gratuites ! Jusqu’à preuve du contraire, il n’existe aucun traitement miracle. Outre-Atlantique, où les médecines parallèles sont elles aussi très développées (et où certaines sont responsables de décès prématurés parce que les patients refusent les traitements classiques), une équipe de chercheurs de l’université de Yale s’est penchée sur le sujet.
Deux études implacables
Dirigée par le cancérologue Skyler Johnson, l’étude publiée en 2017 dans JAMA Oncology(1) a porté sur 281 patients atteints de cancers non métastasés parmi les plus courants aux États-Unis (cancer du sein, du poumon, de la prostate ou colorectal). Ces patients ont refusé les traitements classiques et ont eu recours à des soins alternatifs. Ils ont été comparés à une cohorte de patients issus du même groupe sociodémographique (majoritairement des femmes aux revenus aisés), présentant des cancers du même type et soignés de manière classique. Les résultats sont sans appel. Les femmes atteintes d’un cancer du sein ayant opté pour une médecine alternative avaient 5,68 fois plus de chances de mourir que les femmes ayant reçu des soins conventionnels (1,68 fois plus pour les patients atteints d’un cancer de la prostate, 4,57 fois plus pour ceux atteints d’un cancer colorectal et 2,17 fois plus pour ceux atteints d’un cancer du poumon). « Pour le cancer de la prostate, la différence n’est pas énorme, car ce cancer
est rarement mortel et peut être vécu avec une simple surveillance, sans chirurgie. Mais pour les autres cancers, les chiffres montrent à quel point la médecine classique est efficace, surtout pour le cancer du sein et les cancers colorectaux. Et combien les médecines alternatives sont inefficaces, souligne Skyler Johnson. En 2018, pour compléter cette étude, nous avons voulu nous intéresser aux patients qui se détournent des soins classiques après avoir été traités une première fois de manière conventionnelle(2). Sans surprise, nous avons retrouvé le même type d’écart (bien que moindre) entre ceux qui avaient poursuivi le traitement conventionnel jusqu’au bout et ceux qui s’en étaient détournés. » De fait, les patientes atteintes d’un cancer du sein ayant fait le choix d’un soin alternatif après un premier traitement conventionnel avaient 1,94 fois plus de chances de mourir que celles qui avaient été soignées de manière classique jusqu’au bout (2,61 fois plus pour ceux atteints d’un cancer colorectal, tandis que l’écart n’était pas significatif pour les personnes atteintes d’un cancer de la prostate ou du poumon). « Ce sont souvent des patients qui ont été éprouvés par les rayons, par la chimiothérapie ou par la chirurgie et qui ne veulent plus souffrir autant. Ils décident alors de bifurquer et d’opter pour un traitement alternatif(3). C’est dommage, car cela occasionne une vraie perte de chances. Je milite donc pour un dialogue franc entre médecin et patient sur les risques et bénéfices des traitements en général. Pour entraîner une meilleure adhésion aux traitements classiques, les cancérologues doivent respecter leurs patients et être ouverts à la discussion. »
Des soins de support homologués
C’est vrai : le yoga, la méditation, l’acupuncture ou le tai-chi améliorent la qualité de vie. Mais ils ne soignent pas. Pour autant, de plus en plus d’hôpitaux proposent ces soins en parallèle des traitements classiques. « Quand ils sont mieux dans leur peau, les patients combattent plus efficacement le cancer », admet Simon Schraub. En région parisienne, l’Institut Gustave Roussy a été pionnier en la matière. Les soins de support comprennent la psycho-oncologie (pour le patient et son entourage), la lutte contre la douleur (par des méthodes médicamenteuses ou non), la masso-kinésithérapie, le suivi nutritionnel ou l’addictologie. Par ailleurs, partout en France, la Ligue contre le cancer propose des soins de support adaptés. Ceux-ci viennent en complément des soins conventionnels. Mais ils ne les remplacent jamais.
(1) Use of Alternative Medicine for Cancer and Its Impact on Survival (Skyler B. Johnson, Henry S. Park, Cary P. Gross et James B. Yu).
(2) Complementary Medicine, Refusal of Conventional Cancer Therapy, and Survival Among Patients with Curable Cancers (Skyler B. Johnson, Henry S. Park, Cary P. Gross et James B. Yu).
(3) Nommé « complémentaire » dans l’étude, car venant après un soin conventionnel (donc en complément) ; mais il s’agit bien d’un traitement alternatif.
Chiffres clés
En France, on estime à 500 000 le nombre d’adeptes de mouvements sectaires.
40 % des signalements faits à la Miviludes concernent la santé.
4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives, dont
60 % parmi les malades du cancer.
Il existe plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique.
On dénombre 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risque » dans le domaine de la santé.
4 000 « psychothérapeutes » autoproclamés n’ont suivi aucune formation et ne sont inscrits sur aucun registre.
On évalue à près de 200 le nombre de « bio-décodeurs », à plus de 800 le nombre de kinésiologues, et à environ 3 000 le nombre de médecins qui seraient en lien avec la mouvance sectaire.
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Un film pour alerter sur les dérives thérapeutiques
Rediffusé ce printemps sur Arte, le documentaire Médecines alternatives et cancer : un commerce lucratif évoque la mémoire d’une jeune femme en récidive d’un cancer du sein. Ne voulant plus subir la douleur de la chimiothérapie, elle se tourne vers un traitement alternatif à base de « galvanothérapie » (courant intelligent censé repérer et détruire les cellules malades). Bien évidemment, le traitement échoue. Hélas, le thérapeute ne peut pas être attaqué en justice, car il a fait signer une décharge à la patiente. Claudia Ruby, réalisatrice du film, évoque son projet : « Pendant le tournage, j’ai rencontré des personnes malades qui s’en remettaient exclusivement à des traitements alternatifs. Leur confiance en l’efficacité de ces traitements m’a frappée ! Parfois, ils étaient si pleins d’espoir ! Pour rien au monde, ils ne seraient allés à l’hôpital. Pour lutter contre ces dérives thérapeutiques, la loi doit jouer son rôle et condamner plus facilement les “guérisseurs”. Mais les cancérologues doivent aussi se montrer plus humains et plus à l’écoute, afin d’éviter aux patients de tomber aux mains des charlatans. »
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Dérives sectaires : quand se soigner « autrement » emprisonne
Les personnes atteintes de cancer, fragilisées par la maladie, peuvent être la cible de « pseudo-médecins » dont les pratiques néfastes s’apparentent à l’emprise sectaire. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) agit pour repérer et sanctionner ces agissements.
Le cancer est une porte d’entrée importante pour les pratiques de soins non conventionnelles à visée thérapeutique, dont certaines peuvent dériver vers l’emprise sectaire », souligne Anne Josso, secrétaire générale de la Miviludes. Entre 2015 et 2018, la mission interministérielle a ainsi recensé pas moins de 140 signalements ou interrogations sur le sujet. Une personne évoque le cas d’un naturopathe adepte du traitement à l’iode pour soigner les cancers (nos carences en iode expliqueraient la survenue des maladies). Une autre cite un médecin qui fait commerce de vitamines « maison », en lieu et place des traitements classiques. Une troisième déplore que son père fasse confiance à un magnétiseur qui prétend pouvoir le guérir de son cancer tout en se faisant rémunérer exclusivement en espèces. « Les dérives sont nombreuses, développe Anne Josso. En ce moment, beaucoup de signalements nous remontent concernant Thierry Casasnovas, adepte du crudivorisme (régime à base d’aliments crus). Cette personne attaque frontalement les soins conventionnels dans ses vidéos diffusées sur Internet (regenere.org), ce qui pourrait tomber sous le coup de la loi (même si, dans ses écrits, il est plus prudent). Elle insiste : Beaucoup de sites sont nourris de discours pseudoscientifiques qui peuvent tromper les internautes. » De fait, des signalements remontent également à la Miviludes concernant le site du docteur Laurent Schwartz (cancer-etmetabolisme.fr), qui estime que le cancer peut être combattu par un simple régime, ou celui du docteur Jean-Marc Beuve, spécialiste du « décodage biologique » (prendslamain.free.fr)
Une emprise progressive
« Au-delà des dérives avérées, la Miviludes se veut vigilante sur l’ensemble des soins de support proposés aux malades atteints de cancer. Certains, comme l’homéopathie, apportent parfois un réel confort aux malades. D’autres, comme le reiki ou les régimes, doivent être examinés de plus près. Un certain amateurisme entoure parfois ces pratiques dispensées par des personnes sans aucune formation médicale », conclut Anne Josso. Sur son site Internet, la Miviludes agit justement comme un contrefeu à tous ces pseudo-thérapeutes qui font leur promotion en ligne. La mission interministérielle rappelle que toutes les dérives thérapeutiques ne sont pas sectaires – même si elles mettent en danger les patients quand elles entraînent le refus de soins conventionnels. En revanche, dès lors que ces « thérapies » cherchent à faire adhérer le malade à un nouveau mode de pensée ou croyance, il faut se méfier doublement. Car l’endoctrinement arrive progressivement, suivant trois phases que la Miviludes a bien identifiées : la phase d’approche (promesse de guérison et/ou de réconfort, bouche à oreille positif, publicité sur Internet ou sur la voie publique, etc.) ; la phase de séduction (rencontre avec des personnes supposément guéries, invitations, mise en avant de personnalités adeptes de la méthode, etc.) ; et enfin, la phase de soumission (menace d’aggravation de la maladie si le patient ne suit pas le traitement indiqué, exigences financières allant jusqu’à l’endettement, déracinement géographique, etc.). Si vous ou l’un de vos proches êtes atteint d’un cancer, soyez particulièrement vigilant(1) !
(1) Si vous avez le moindre doute, n’hésitez pas à saisir la Miviludes (c’est très simple) : https://www.derives-sectes.gouv.fr/quelles-instances-saisir/informer-lam...
En savoir +
www.derives-sectes.gouv.fr
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« La Ligue contre le cancer et la Miviludes s’associent.
GENEVIÈVE EGUIMENDYA, administratrice du Comité des Pyrénées-Atlantiques (ancienne présidente du Cd64), administratrice nationale de la Ligue contre le cancer, présidente de la Commission nationale de l’APPM (aide pour les personnes malades).
Les soins de support dispensés par les Espaces Ligue et en établissements de santé doivent, par rapport aux personnes malades, respecter l’éthique et ne pas comporter de risques. Pour cela, la Ligue a rédigé une série de recommandations et mené une réflexion qui donnera lieu à une convention avec la Miviludes. De ce fait, seuls les six soins de support ci-après sont homologués. Il s’agit de :
- l’activité physique adaptée ;
- les recommandations en termes de nutrition ;
- le soutien psychologique ;
- le retour à l’emploi ;
- le sevrage tabagique ;
- la socio-esthétique.
Pour ce qui concerne les pratiques autres, notamment celles mises en place dans certains Comités, la Ligue a décidé de constituer un Comité d’expertise, dont les membres seront issus d’instances extérieures et de membres de la Commission « soins de support ». D’ores et déjà, la Ligue recommande que l’ostéopathie et le shiatsu soient pratiqués sur recommandation médicale, quant au reiki, la Miviludes le classe dans une pratique à dérive sectaire.
Pour aller + loin
Sur le site de l’Association francophone des soins
oncologiques de support (Afsos), vous découvrirez
la liste de tous les soins de support qui peuvent vous
aider à mieux vivre votre maladie.
www.afsos.org