Près de trois millions d’habitants, une superficie égale à 20 % de celle de la métropole (mais cinq fois plus grande si l’on prend en compte la surface maritime de la Polynésie), une histoire, des statuts et des traditions différentes… L’outre-mer est placée sous le signe de la diversité avec pourtant un défi commun : comment prévenir et faire face aux cancers ?

Près de trois millions d’habitants, une superficie égale à 20 % de celle de la métropole (mais cinq fois plus grande si l’on prend en compte la surface maritime de la Polynésie), une histoire, des statuts et des traditions différentes… L’outre-mer est placée sous le signe de la diversité avec pourtant un défi commun : comment prévenir et faire face aux cancers ?

 

Dans un rapport d’information de 2015 sur la santé en outre-mer, l’Assemblée nationale tentait d’apporter une réponse en expliquant que « le système de santé des collectivités ultramarines comble progressivement son retard par rapport à l’Hexagone, mais reste marqué par des difficultés persistantes ». Cette amélioration générale se traduit par une hausse de l’espérance de vie, qui se rapproche de celle de la métropole. L’incidence du cancer est d’ailleurs plus faible en outre-mer, mais pourrait s’accroître en raison du vieillissement rapide de la population.

Comparaison n’est pas raison

« Les comparaisons doivent être abordées avec prudence, tempère toutefois Jérôme Viguier, directeur du pôle Santé publique et soins à l’INCa (Institut national du cancer). Les territoires sont très différents et les données parfois très disparates, comme en métropole. On observe des taux plus importants de cancer de la prostate, une prédominance du cancer du sein – avec un âge moyen moins élevé – et une surreprésentation du cancer du col de l’utérus. » Chaque territoire présente des spécificités. Jacques Cartiaux, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Guyane, le confirme : « Nous avons un effort à faire sur le cancer du col de l’utérus, très présent, du fait notamment de la jeunesse de la population et de la précocité des relations sexuelles. » Lionel Calenge, directeur général du CHU de La Réunion, observe également une surincidence du cancer du col. Il précise par ailleurs : « Depuis vingt-cinq ans, l’île est confrontée aussi aux effets du vieillissement : le nombre des plus de 75 ans a été multiplié par trois et nous connaissons une nette progression des cancers urologiques et du thorax. » De son côté, Jean-Maurice Sotirio, président du Comité de la Ligue de Nouvelle-Calédonie, explique qu’« avec un taux de fumeurs dans la population qui est monté jusqu’à 50 %, les poumons sont la principale localisation des cancers. Autre particularité : 26 % des cancers du sein surviennent chez des femmes de moins de 50 ans. » Patricia Grand, présidente du Comité de la Ligue de la Polynésie française, confirme l’impact du tabagisme (52 % de fumeurs chez les 20-24 ans) sur la prévalence du cancer des poumons chez les hommes. À ces éléments s’ajoutent parfois des facteurs sociétaux – comme l’obésité en Polynésie – ou environnementaux. C’est le cas des essais nucléaires en Polynésie ou du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Ce pesticide massivement utilisé dans les bananeraies, jusqu’à son interdiction en 1993 explique la prévalence record du cancer de la prostate.

De 1 100 km2 à cinq fois la métropole…

Il faut compter aussi avec les spécificités géographiques : quoi de commun entre la Martinique, cinq fois moins étendue que la Seine-et-Marne, et la Guyane, grande comme le Portugal, ou la Polynésie, dont les îles se répartissent sur une superficie équivalente à près de cinq fois celle de la France métropolitaine… L’éloignement de la métropole est un autre facteur à prendre en compte : il faut environ huit heures de vol entre les Antilles et Paris, onze heures pour La Réunion, vingt-deux heures pour Tahiti et plus de vingt-quatre heures pour Nouméa… Enfin, la population varie de 260 000 habitants en Guyane à 850 000 à La Réunion.

Des critères de qualité strictement identiques

Tous ces éléments influent évidemment sur l’offre de soins en matière de prise en charge des cancers. Mais Jérôme Viguier, de l’INCa, est formel : « Dans les différents Plans cancer, il n’y a pas de spécificités pour l’outre-mer. En effet, toutes les dispositions des plans s’appliquent dans les DOM et sont largement reprises dans les collectivités d’outre-mer, comme la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie, qui disposent de leur propre gouvernement, compétent en matière de santé. En particulier, les critères de qualité de la prise en charge sont comparables à ceux de la métropole. » Territoire de loin le plus peuplé, La Réunion est équipée en conséquence : « Huit établissements de soins, dont deux cliniques, ont une autorisation en cancérologie, explique Lionel Calenge. C’est bien sûr le cas du CHU et cela permet de prendre en charge toutes les localisations de la maladie, même si la densité de l’offre est légèrement moindre qu’en métropole, sauf pour les cancers gynécologiques. » La situation est très différente dans le département voisin – 1 400 kilomètres quand même ! – de Mayotte, où les 260 000 habitants sont majoritairement orientés vers La Réunion pour les prises en charge en cancérologie. Disposant chacune d’un CHU et d’une offre de cliniques privées, la Martinique et la Guadeloupe offrent, elles aussi, une large gamme de prises en charge, ainsi que des services de pointe, à l’image de la prochaine création d’une unité de thérapie cellulaire à Fort-de-France.

Le poids des distances

La situation est différente dans les territoires très étendus, comme la Guyane, la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie. L’offre en cancérologie est en effet concentrée sur Cayenne, Papeete et Nouméa, où vit aussi une bonne part de la population. « Nous disposons de trois hôpitaux et de quelques services privés, notamment en hospitalisation à domicile. Mais il faut parfois trois jours de pirogue pour venir du Haut-Maroni à Cayenne, explique ainsi Jacques Cartiaux, directeur de l’ARS de Guyane. Nous développons la chirurgie cancérologique, notamment en urologie, et nous faisons tout pour développer la chimiothérapie et l’ambulatoire. Cayenne dispose également d’équipements de pointe, comme une IRM 3 Tesla. » « En Polynésie, le seul hôpital pratiquant la cancérologie se trouve à Tahiti. Il dispose de différents services et équipements, comme la radiothérapie, la chimiothérapie, la médecine nucléaire depuis 2016, une IRM… Mais il faut plusieurs heures d’avion pour venir des îles les plus éloignées, rappelle Patricia Grand. Le gouvernement local s’emploie cependant à renforcer l’offre. Il devrait mettre en place de la chimiothérapie sur Raiatea, une île qui compte environ 13 000 habitants, à une heure d’avion de Tahiti. Et il y a aussi un projet de mammographe aux Marquises, à trois ou quatre heures de Tahiti. » Situation voisine en Nouvelle-Calédonie, longue de 600 kilomètres du nord au sud : « L’ouverture du médipôle du centre hospitalier de Nouméa en 2016, un établissement hyperperformant, nous permet de disposer désormais d’un centre de radiothérapie. Avant, il fallait aller en Australie, explique Jean-Maurice Sotirio. Le territoire compte un service d’oncologie dans le public et un dans le privé, avec trois oncologues. La province nord devrait également se doter d’un hôpital, mais on ne sait pas encore s’il disposera d’une activité d’oncologie. »

Des Evasan moins nombreuses

Malgré toutes ces améliorations, les évacuations sanitaires – ou Evasan – restent parfois une nécessité. Elles sont limitées à La Réunion et aux Antilles, sauf pour des cancers rares ou si un patient est inclus dans un protocole de recherche très spécifique. À La Réunion, 330 patients sont toutefois hospitalisés chaque année hors du département, dans un établissement de la métropole, ce qui représente environ 3 % des malades. Les Evasan sont plus fréquentes sur les autres territoires. « Nous avons notamment un partenariat avec le centre Léon Bérard à Lyon, qui accueille en permanence une quinzaine de patients guyanais, explique Jacques Cartiaux, mais nous recherchons également des solutions moins éloignées. Avec les Antilles bien sûr, ou encore dans le cadre d’un projet de partenariat avec le Suriname voisin, où la capitale Paramaribo dispose d’un centre de radiothérapie aux standards européens, installé par les Hollandais. Pour un patient venant des territoires de la forêt amazonienne, ce serait beaucoup moins traumatisant que de se retrouver à Lyon… » « En Polynésie, nous comptons environ 100 à 120 Evasan chaque année, estime Patricia Grand, et elles sont systématiques pour les cancers pédiatriques. Les transferts se font vers la métropole, principalement sur Paris. » Pour la Nouvelle-Calédonie, la situation a changé depuis la création du médipôle : « La mise en service du centre de radiothérapie va réduire les Evasan. Mais elles restent nécessaires pour certains traitements ou des confirmations de diagnostic. Elles se font alors soit vers la métropole, soit vers l’Australie, plus "proche" à environ 3 500 kilomètres. »

Des besoins spécifiques de prévention

Le dépistage et la prévention sont une autre dimension essentielle de la lutte contre le cancer. Pour Jérôme Viguier, « il n’y a pas de différences fondamentales avec la métropole, mais parfois la nécessité d’une adaptation aux besoins spécifiques et aux moyens disponibles, en tenant compte des particularités des territoires, notamment des situations sociales qui sont difficiles ». « À La Réunion, nous pratiquons les trois dépistages nationaux : sein, col de l’utérus et colorectal, confirme Lionel Calenge. Le projet régional de santé a également comme objectif de mieux structurer les actions de dépistage et d’abaisser le seuil de 50 à 40 ans. » La même situation prévaut dans les Antilles et en Guyane. « On suit les standards de la métropole – comme Octobre rose ou le Moi(s) sans tabac –, mais nous avons encore des efforts à faire sur le col de l’utérus, le suivi mère-enfant et la santé sexuelle », ajoute Jacques Cartiaux.

Travailler avec les paroisses

« En Nouvelle-Calédonie, nous relayons aussi les campagnes nationales, explique à son tour Jean-Maurice Sotirio, mais le cancer reste parfois un tabou, avec le sentiment que, si l’on a un cancer, c’est qu’on a fait “quelque chose”. La Ligue n’en mène pas moins des campagnes très actives, notamment sur la prévention du tabagisme, et intervient tout au long de l’année dans les collèges et lycées. Elle réalise également un agenda scolaire, financé par l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie et diffusé dans toutes les classes de CM1-CM2. » « Nous connaissons aussi ces difficultés. Mais cela n’empêche pas de lancer des campagnes de prévention ou de dépistage, confirme Patricia Grand. Nous avons débuté par le cancer du sein. Nous avons rajouté la prostate l’an dernier et nous continuons avec le poumon. Le nouveau ministre de la Santé polynésien entend d’ailleurs renforcer les actions de prévention. Mais il faut s’adapter au contexte. La religion tient une grande place dans le territoire et nous travaillons donc étroitement avec les paroisses… » La conclusion reste à l’INCa, que sa position dote d’une vision transversale. Pour Jérôme Viguier, « l’outre-mer souffre encore d’une démographie médicale défavorable, avec un fort turnover, et les Evasan restent trop fréquentes. Mais ces territoires ont aussi de vrais points forts en cancérologie : ils sont dynamiques, très investis dans la prise en charge et très mobilisés pour améliorer encore l’offre de soins ».

 

Contributeurs

«Nous avons un effort à faire sur le cancer du col de l’utérus, très présent, du fait notamment de la jeunesse de la population et de la précocité des relations sexuelles.»

Jacques Cartiaux, directeur général de l’ARS de Guyane

 

«Les critères de qualité de la prise en charge sont comparables à ceux de la métropole.»

Jérôme Viguier, directeur du pôle Santé publique et soins à l’INCa

 

 

«En Polynésie, le seul hôpital pratiquant la cancérologie se trouve à Tahiti. Il faut plusieurs heures d’avion pour venir des îles les plus éloignées.»

Patricia Grand, présidente du Comité de la Polynésie française de la Ligue contre le cancer

 

 

«Le projet régional de santé a comme objectif de mieux structurer les actions de dépistage et d’abaisser
le seuil de 50 à 40 ans.
»

Lionel Calenge, directeur général du CHU de La Réunion

 

«Le cancer reste parfois un tabou, avec le sentiment que si l’on a un cancer, c’est qu’on a fait ”quelque chose”.»

Jean-Maurice Sotirio, président du Comité de Nouvelle-Calédonie de la Ligue contre le cancer

 

 

 

Témoignages

«Le tabou reste plus fort qu’en métropole.»

Deux ans après un cancer de la prostate traité en Martinique, Gérard Edmond, 70 ans, a été victime d’un mélanome récidivant, lié à l’exposition au soleil et très rare chez les personnes à la peau noire. D’abord pris en charge sur place, il a finalement intégré un protocole d’essai clinique mené par l’Institut Gustave Roussy : quarante-cinq séances de chimiothérapie ciblée à Villejuif (en hospitalisation de jour toutes les trois semaines), une logistique lourde malgré des enfants en région parisienne, des frais importants pris en charge partiellement… Mais, après une phase de traitement de décembre 2012 à octobre 2015, le protocole a porté ses fruits et Gérard fait désormais l’objet d’un simple contrôle trimestriel, toujours à Villejuif. Devenu un membre actif du Comité départe-mental de la Ligue, il porte un regard acéré sur le cancer en Martinique : « Le tabou reste plus fort qu’en métropole. Il y a aussi la peur du qu’en-dira-t-on sur une petite île et on a souvent recours aux remèdes de “grand-mère”. Il n’est donc pas toujours facile de faire venir les Martiniquais à des réunions d’information. Mais tout n’est pas sombre pour autant : l’île compte des équipes médicales et des personnels à la hauteur ; des cancers comme celui du sein ou de la prostate sont très bien pris en charge ; les équipements et l’offre de soins s’améliorent et il est de moins en moins nécessaire de se faire soigner en métropole… sauf dans des cas particuliers comme le mien. »

 

«Les choses se sont enchaînées d’elles-mêmes et très vite.»

Karine Christophe, une Guadeloupéenne de 46 ans, s’est vu diagnostiquer un cancer du sein infiltrant il y a deux ans : « J’ai demandé une mammographie, car je ressentais comme de l’électricité dans le sein. Après l’examen, le radiologue libéral a prescrit une ponction et m’a demandé de me rapprocher du dispositif de dépistage organisé. Le lendemain, j’ai vu le radiologue de la clinique Les Eaux Claires, puis le chirurgien, deux jours après, avec le résultat de la ponction. Ce dernier a prescrit une chimiothérapie néoadjuvante, avant la mastectomie. J’ai donc très rapidement rencontré l’oncologue. Au total, il ne s’est pas écoulé trois semaines entre le diagnostic et le début de la chimiothérapie. J’ai eu quatre séances, puis la mastectomie, puis encore quatre séances et de la radiothérapie. Avec le recul, je dois dire que les choses se sont enchaînées d’elles-mêmes et très vite, sans perte de temps, avec efficacité. J’ai toujours été bien informée, car mon médecin personnel avait des contacts étroits avec la clinique. Seul bémol : on ne m’a pas vraiment expliqué les effets du curage sur les douleurs dans le bras. Durant toute cette période, je suis aussi entrée en contact avec la Ligue. J’y ai trouvé une écoute et des activités : groupes de parole, gym et aquagym, sophrologie, socio-esthétique, art-thérapie… Cela m’a beaucoup apporté en termes relationnels. Au total, et malgré le poids de la maladie, j’ai rencontré des personnes formidables tout au long de ce parcours… » Aujourd’hui, Karine envisage, après les opérations de reconstruction, de reprendre son métier de chargée de projet culturel au conseil départemental.

Crédit photo : GettyImages

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