Le handicap est source de difficultés supplémentaires lorsque survient un cancer. Une réalité longtemps négligée, en particulier chez les personnes déficientes intellectuelles, mais qui commence à émerger grâce à l’action d’associations et à une prise de conscience des pouvoirs publics. Avec un double enjeu : sensibiliser les soignants à la question du handicap et informer les personnes handicapées et leurs accompagnants sur le cancer.


 

Cancer et handicap, les mêmes chances pour tous ?

Le handicap est source de difficultés supplémentaires lorsque survient un cancer. Une réalité longtemps négligée, en particulier chez les personnes déficientes intellectuelles, mais qui commence à émerger grâce à l’action d’associations et à une prise de conscience des pouvoirs publics. Avec un double enjeu : sensibiliser les soignants à la question du handicap et informer les personnes handicapées et leurs accompagnants sur le cancer.

PAR PHILIPPE CLOUET — ILLUSTRATION MATHOU

Le sous-titre du Plan cancer 2014-2019 affiche une ambition forte : « Guérir et prévenir les cancers : donnons les mêmes chances à tous, partout en France. » Pourtant, parmi les 17 objectifs retenus et les 184 actions identifiées, aucune ne concerne spécifiquement la question du cancer et du handicap. Bien sûr, les personnes handicapées sont évoquées, mais comme une composante, parmi d’autres, des « populations vulnérables ou ayant des difficultés d’accès », qui regroupent aussi les personnes en situation de précarité, celles vivant en institution ou en établissement pénitentiaire, celles isolées géographiquement ou confrontées à des difficultés socioculturelles ou linguistiques. Pourtant, il existe bien des difficultés et des enjeux spécifiques, tout particulièrement pour les personnes présentant une déficience intellectuelle.

Diagnostic tardif, accès réduit à la prévention.
Pour le docteur Daniel Satgé, cofondateur et directeur de l’association Oncodéfi (voir encadré page 43), « pendant longtemps, on ne s’est pas intéressé au cancer des personnes déficientes intellectuelles tout simplement parce qu’elles mouraient jeunes et que le cancer survient en majorité à des âges plus avancés. On ne
voyait donc pas où était le problème ».
Encore faut-il savoir de quoi on parle. Si le handicap est une complication supplémentaire face au cancer, on sait aujourd’hui plutôt bien la surmonter pour les handicaps moteurs ou sensoriels. En revanche, il n’en va pas de même pour les déficiences intellectuelles. « Aujourd’hui, on ne s’occupe pas trop mal de la déficience intellectuelle, mais pas très bien des cancers qui touchent ces personnes handicapées, explique Jean-Bernard Dubois, président du Comité de l’Hérault de la Ligue contre le cancer, ancien directeur de l’Institut régional du cancer de Montpellier, mais aussi président d’Oncodéfi. Le résultat, c’est un accès réduit à la prévention et au dépistage et, en cas de cancer, un diagnostic tardif et des tumeurs à un stade avancé… Songez que, chez ces patients, on diagnostique parfois un cancer du sein au stade de l’ulcération de la peau ! » Car, comme le rappelle Pascal Jacob, fondateur et président de l’association Handidactique et auteur du rapport Jacob sur l’accès aux soins des personnes handicapées et de la charte Romain Jacob, « le client du médecin, ce n’est pas la maladie, c’est la personne ! Vis-à-vis des patients déficients intellectuels, les médecins expliquent leurs difficultés par une “spirale d’échec” : quand la personne repart, on a l’impression d’avoir bien fait mais, justement, ce n’est souvent qu’une impression… ».

Égalité… et spécificité
« Pourtant, avec la forte augmentation de l’espérance de vie des personnes déficientes intellectuelles, la prévalence des cancers est aujourd’hui globalement la même que dans la population générale, affirme Daniel Satgé. Mais il y a quand même certaines spécificités : par exemple, il y a moitié moins de tumeurs solides chez les personnes atteintes de trisomie 21. Elles semblent particulièrement protégées contre les cancers du sein. À l’inverse, elles développent davantage de leucémies ou de cancers des testicules. Il est donc intéressant de développer une recherche spécifique, de comprendre pourquoi certains syndromes protègent contre le cancer, quand d’autres semblent le favoriser. » Pour autant, « la Ligue considère qu’il n’y a pas de différence à faire face au cancer, explique Jean-Bernard Dubois. Chacun doit avoir les mêmes chances en matière de prévention, de dépistage et de prise en charge. Or, ce n’est pas encore le cas pour les personnes déficientes intellectuelles. Il faut donc prendre en compte cette réalité et mobiliser les agences régionales de santé et les pouvoirs publics pour répondre à cet enjeu de santé publique. »

Près d’une personne handicapée sur cinq a connu un refus de soins
Fort des résultats de l’enquête Handifaction sur les soins aux personnes handicapées (voir encadré page 44), Pascal Jacob ne dit pas autre chose : « Tous types de handicaps confondus, 18% des patients disent avoir fait l’objet d’un refus de soins, principalement chez un spécialiste libéral (29 %) ou en hospitalisation à domicile (23 %). Ce résultat est étonnant, car il est assez propre à la France. De même, 36% des répondants se plaignent d’un refus d’accepter la présence d’un accompagnant. C’est inacceptable, car la réussite des soins passe bien souvent par la présence d’un accompagnant, notamment pour les personnes déficientes intellectuelles. » Pour ces dernières, la question de l’accompagnement est en effet centrale : « Les personnes déficientes intellectuelles peuvent comprendre beaucoup de choses si on sait communiquer, par exemple, en évitant le langage trop technique ou symbolique, explique Daniel Satgé. Or, si on ne connaît pas la déficience intellectuelle, on a absolument besoin de la présence de l’aidant ! L’étude OSO – pour ”obstacles aux soins“ – montre très clairement que les principaux obstacles sont l’absence d’un aidant, le manque de connaissances des aidants professionnels sur le cancer et le manque de connaissances des cancérologues sur la déficience intellectuelle… » De même, une personne déficiente ne verbalise pas forcément certains symptômes, comme la douleur, et réagit plutôt par des syndromes psychiques : agitation, repli…

Sensibilisation et information
Sur le terrain, les choses évoluent pourtant : « Nous venons d’obtenir de l’agence régionale de santé (ARS) le financement de deux postes d’infirmières à temps partiel pour accompagner les équipes médicales et les aidants. Elles sont recrutées depuis le 1er janvier de cette année », se félicite Jean-Bernard Dubois. La présence d’Oncodéfi à Montpellier et l’engagement du Comité de l’Hérault ne sont évidemment pas étrangers à cette prise de conscience des pouvoirs publics, qui est encore loin d’être généralisée à tout le territoire. « Pour réussir, il faut sensibiliser les médecins, les accompagnants, mais aussi les intéressés eux-mêmes, confirme Pascal Jacob. N’oubliez pas qu’environ 40 % des personnes handicapées qui se présentent aux urgences le font après un refus de soins, le plus souvent en raison d’une méconnaissance des soignants ou des structures de soins. »

Un début de prise de conscience
« La formation des équipes soignantes et des accompagnants est donc un enjeu de santé considérable, explique Daniel Satgé. Les pouvoirs publics commencent à en prendre conscience : grâce au soutien de l’ARS, nous venons, par exemple, d’entamer une action sur l’Occitanie pour expliquer le cancer, sa prévention et son dépistage, dans les institutions médico-sociales. » Même s’il constate des progrès, Pascal Jacob est un peu moins optimiste : « Il reste beaucoup de choses à faire, notamment sur les refus de soins et sur le respect des accompagnants. Mais c’est vrai que les professionnels de santé qui ont pu suivre un stage changent rapidement d’état d’esprit. » Une impression que partage tout à fait Jean-Bernard Dubois : « Au départ, c’est parfois difficile de convaincre les décideurs. Mais dès qu’on peut engager une action de sensibilisation ou de formation, on se rend très vite compte que les attentes sont fortes et les résultats positifs. »

 

Oncodéfi, tout est dit…
Face aux enjeux et à la spécificité du cancer chez les personnes déficientes intellectuelles, Oncodéfi s’est donné pour mission de rassembler en une structure unique au monde l’aide aux soins, la documentation et la recherche sur le sujet. L’association apporte son aide aux équipes qui soignent des patients déficients intellectuels. Elle met sur pied un centre de documentation en ligne qui sera mis à disposition des professionnels comme des familles. L’association anime également un réseau de recherche traitant de tous les aspects de la question, et enrichi de données interventionnelles. Reconnue par les autorités administratives et scientifiques, Oncodéfi a également organisé, à Montpellier, deux symposiums internationaux sur le cancer et les déficiences intellectuelles, dont le dernier s’est tenu en octobre 2018.
www.oncodefi.org

Lucie est soignée pour un cancer
Avec le soutien de l’Association de prévoyance santé (ADPS) Languedoc-Roussillon et de la fondation Terre Plurielle, Oncodéfi diffuse Lucie est soignée pour un cancer. Ce livret se compose de quarante-sept images et de textes adaptés qui expliquent de façon simple le trajet diagnostique et thérapeutique du cancer aux personnes déficientes intellectuelles. Les images permettent à ces dernières de bien comprendre la maladie et les traitements mis en oeuvre. Depuis 2017, ce livret est proposé aux équipes de cancérologie, ainsi qu’aux structures d’hébergement de personnes en situation de déficience intellectuelle. Une version électronique sera prochainement accessible sur un site internet dédié. En attendant, la version papier peut être demandée à contact@oncodefi.org.

Handidactique : une vie pour une cause
Créée en 2013 par Pascal Jacob, Handidactique affiche sa vocation dans son nom. Elle se fixe en effet pour mission « le conseil, la conception, la réalisation et le soutien de projets pédagogiques visant à l’amélioration de la qualité de vie des personnes handicapées et des personnes qui interagissent avec elles ». Présente sur toute la France, l’association met notamment en oeuvre l’enquête permanente Handifaction, qui recueille l’opinion des personnes handicapées et de leurs accompagnants au sortir de soins. Elle est aussi à l’origine de la charte Romain Jacob, initiée en 2014 et déjà signée par un grand nombre d’acteurs médico-sociaux, dont le ministère de la Santé, les départements ou la Fédération hospitalière de France. Les principes fixés dans les douze articles de la charte rassemblent l’ensemble des acteurs nationaux et régionaux autour de l’amélioration de l’accès à la santé et aux soins des personnes handicapées.
www.handidactique.org
www.handifaction.fr

Des outils pour mieux comprendre
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) – qui finance de nombreuses actions et prestations pour les personnes handicapées et les personnes âgées – et l’Institut national du cancer (INCa) publient vingt-quatre fiches d’information sur les démarches auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Bien que de portée générale, ces fiches à la vocation très pratique visent plus particulièrement le cas des enfants et adolescents victimes d’un cancer. Elles présentent les prestations ou allocations possibles et abordent toutes les questions relatives au dépôt et au traitement des dossiers (formulaire, certificat médical, projet de vie…), ainsi que les recours possibles.La CNSA soutient également, avec de nombreux autres partenaires, dont la Fondation handicap Malakoff-Médéric, le projet SantéBD. Un site et une application pour smartphones proposent déjà plus de 50 fiches accessibles à tous et adaptées à tous les types de handicap. Écrites en langage facile à lire et à comprendre (Falc) et utilisables directement par les personnes en situation de handicap, elles expliquent le médecin, l’hôpital, le cancer, les maladies, les examens…
www.cnsa.fr/documentation/publicationsde-la-cnsa/fiches-dinformation-inca-cnsasur-les-demarches-aupres-desmdphsantebd.org/les-fiches-santebd
 

 

 

SOPHIE CLUZEL, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, revient sur l’accès à la santé des personnes handicapées.

« Le gouvernement est décidé à agir. »

 

Quels sont les enjeux du dépistage pour les personnes handicapées ?
Les programmes de dépistage organisés des cancers ont pour objectif de garantir un accès égal au dépistage sur l’ensemble du territoire, avec un niveau de qualité élevé. Malheureusement, nous en sommes loin pour les personnes handicapées. Le recours au dépistage du cancer du côlon, par exemple, est beaucoup moins fréquent pour elles. Cela doit changer.

Et les difficultés de la prise en charge ?
Les difficultés de prise en charge, comme globalement celles d’accès aux soins des personnes en situation de handicap, sont multiples. Elles sont liées à des facteurs propres à la personne, telles la mobilité ou les capacités de communication, mais aussi à l’accessibilité des locaux et au manque de formation au handicap des professionnels de santé. Un meilleur accès à des soins gynécologiques adaptés permettrait d’améliorer le dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus.

Quel peut être le rôle des associations ?
Les structures en charge de la coordination des dépistages des cancers s’appuient sur de nombreuses associations locales, qui jouent un rôle fondamental. Mais la situation est hétérogène selon les territoires. Un suivi plus précis et une diffusion des bonnes pratiques seront possibles grâce à la nouvelle organisation des centres de coordination des dépistages.

Quelles sont les mesures mises en oeuvre et les perspectives ?
Le gouvernement est décidé à agir pour l’amélioration rapide de l’accès des personnes en situation de handicap à la prévention et aux soins. Cet engagement figure dans le Plan national de santé publique (PNSP), et constitue une priorité importante du plan d’action gouvernemental défini lors du comité interministériel du
handicap du 25 octobre 2018. Plusieurs mesures visent à améliorer concrètement le dépistage organisé : réaliser, au moins une fois par an, un bilan de santé ; informer les patients sur l’accessibilité du cabinet du professionnel de santé via Ameli.fr ; mieux prendre en compte la complexité de la prise en charge médicale des patients dans les tarifs des professionnels ; développer une téléconsultation de repérage et de dépistage en établissements.

 

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