Cancer et hérédité en question

Maladie dite «multifactorielle », le cancer trouve son origine dans notre environnement et dans nos gènes. L’incidence des cancers liés à l’hérédité paraît aujourd’hui relativement limitée.

Toutefois, l’étude de ces cancers particuliers est riche d’enseignements : elle permet de mieux connaître la maladie, quelle que soit son origine, et de la prendre en charge plus efficacement.

Maude observe sa petite fille qui joue à l’ombre d’un mûrier noir. En ce bel après-midi d’été, le ciel est resté sans nuages. Pourtant, elle n’arrive pas à profiter de la quiétude de l’instant, son esprit s’est assombri au fil des dernières heures. Cette cousine éloignée « perdue de vue depuis si longtemps » lui a parlé du cancer du sein qui est maintenant « … derrière elle…» De fil en aiguille, les deux femmes en sont venues à recenser les cancers ayant touché leurs familles. L’exercice est difficile et pour tout dire un peu dérangeant. Toujours est-il que Maude peut dénombrer « deux cancers sûrs du côté de sa mère... et au moins un dans la branche paternelle ». Tout cela la préoccupe, ne dit-on pas du cancer qu’il est une maladie génétique et qu’il peut être une histoire de famille ?

Avant de déterminer si Maude à de vraies raisons de s’inquiéter, quelques définitions s’imposent. Si l’on dit du cancer qu’il est une maladie génétique, c’est avant tout parce qu’il résulte toujours d’une atteinte des gènes. L’accumulation d’altérations dans certains gènes clés du fonctionnement de la cellule fait que celle-ci échappe au contrôle de l’organisme, perd sa fonction normale et prolifère de façon anarchique. Quelles sont les causes de ces altérations ?

Malgré les progrès de la biologie, le plus grand nombre de ces causes restent inconnues. Toutefois, on sait que l’âge, les modes de vie et l’exposition à des agents physiques (les rayons UV, les radiations ionisantes) ou chimiques (certains composés de la fumée de cigarettes, certains solvants, l’amiante, etc.) qui peuvent « blesser» l’ADN support de nos gènes, jouent un rôle majeur dans l’acquisition de mutations liées aux cancers. Mais dans certains cas, les mutations ne sont pas acquises, elles nous ont été transmises, par l’un ou l’autre de nos parents et se trouvent donc inscrites dans notre patrimoine génétique dès la naissance.

C’est cet héritage génétique qui fait que, parfois, le cancer peut être une histoire de famille. Mais, même dans ces cas, on ne peut pas dire que le cancer se transmet car il n’existe que très peu d’exemples où une mutation héritée de l’ascendance suffit à elle seule à la survenue de la maladie. Le plus souvent les mutations constituent « juste» des facteurs de prédispositions : les sujets porteurs ne déclareront pas nécessairement un cancer, mais présentent un risque accru par rapport à la population générale. Un risque qui peut encore croître et éventuellement devenir réalité, notamment, quand d’autres facteurs environnementaux et comportementaux (évoqués plus haut) viennent se surajouter à la prédisposition génétique.

On estime aujourd’hui, dans une fourchette de 5 à 10 %, les cancers impliquant une prédisposition héréditaire. Des formes familiales ont été observées pour la plupart des localisations et il est possible de distinguer trois grands types de prédispositions : celles qui sont associées à des cancers communs (sein, ovaire, endomètre, côlonrectum, prostate et mélanome malin), celles qui sont liées à des cancers héréditaires rares comme, entre autres, le rétinoblastome et le néphroblastome (des cancers de l’enfant pour lesquels l’altération génétique est associée à un risque de 90 % de développer la maladie) et celles qui découlent de la transmission d’une maladie génétique pouvant évoluer en cancer (par exemple la polypose colique familiale qui prédispose à certains cancers du côlon).

L’exemple du cancer du sein familial

Au cours des années 1990, l’identification des gènes BRCA1 puis BRCA2 a constitué une avancée scientifique remarquable. La mutation constitutionnelle* de ces gènes impliqués dans la réparation des lésions de l’ADN constitue un facteur de prédisposition héréditaire aux cancers du sein et de l’ovaire. A côté de son intérêt fondamental, cette découverte a également contribué à une amélioration de la prise en charge des patientes concernées avec le développement des consultations d’oncogénétique. « En fait, l’objectif initial visait à réunir plusieurs familles de cancers du sein dans un but de recherche », note Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique oncologique de l’Institut Curie, et professeur de génétique médicale à l’université Paris-Descartes.

« Rapidement, on s’est rendu compte que les personnes sollicitées se posaient de nombreuses questions sur la prise en charge des membres de leur famille. De la mise en place de programmes de recherche à l’Institut Curie est née une consultation de génétique sur les risques tumoraux et dont la vocation était aussi de donner des conseils de prévention et de dépistages adaptés. Le diagnostic de prédisposition que l’on pouvait faire alors était limité à la seule analyse de l’histoire personnelle et familiale des personnes. Dès 1995, on a pu développer les premiers tests suite à l’identification du gène BRCA1, premier gène dont les anomalies sont associées à un risque de cancers du sein et de l’ovaire. » A quel risque les porteuses de ces prédispositions sont-elles exposées ?

En France, dans la population générale, on estime qu’une femme sur dix a eu ou aura un cancer du sein avant l’âge de 70 ans. « Aujourd’hui, on estime qu’une femme sur 500 est porteuse d’une altération des gènes BRCA1 ou BRCA2, explique Dominique Stoppa-Lyonnet. Chez celles-ci, on évalue à 65 % le risque de développer un cancer du sein avant 70 ans et avant 50 ans le risque est d’environ 40 %. En cas d’altération du BRCA2, le risque est d’environ 45 % à 70 ans et de 20 % avant 50 ans. » Ainsi, même si l’augmentation du risque est substantielle, une femme qui présente une prédisposition génétique peut ne jamais développer de cancer du sein.

Des tests génétiques très spécialisés

Des analyses spécifiques peuvent être réalisées lorsqu’un faisceau d’indices rendant compte d’une histoire familiale à risque permet de suspecter une prédisposition génétique. Dans le cas du cancer du sein, ces analyses se fondent sur la recherche des altérations des gènes BRCA1 et BRCA2. « En pratique, une prise de sang est réalisée au décours de la consultation et le test proprement dit est réalisé dans un laboratoire spécialisé, précise Dominique Stoppa-Lyonnet. La recherche des mutations suspectées est un processus long et méticuleux qui demande plusieurs semaines. Lorsqu’une mutation conduisant à l’inactivation (ici des protéines BRCA1 ou BRCA2) est mise en évidence, le sur-risque de cancer est avéré. Mais l’interprétation de ces tests génétiques très spécialisés n’est pas toujours simple, les altérations de ces gènes se caractérisent par une très grande diversité. Un résultat négatif, c’est-à-dire “normal” pour un membre d’une famille dans laquelle personne n’a encore été testé, doit encore être interprété avec prudence ».

Quoi qu’il en soit, ce dépistage génétique a l’intérêt de pouvoir déboucher sur une prise en charge adaptée pour les femmes effectivement concernées. L’Institut national du cancer (INCa) a émis des recommandations de prise en charge des porteuses d’une mutation BRCA1 ou BRCA2. « Une surveillance mammaire très attentive est préconisée. En cas de prédisposition génétique, il est proposé chaque année une IRM mammaire, une mammographie dès l’âge de 30 ans, et une échographie des seins s’ils sont très denses. Se pose aussi la question de la mastectomie “prophylactique”, c’est-à-dire l’ablation des seins à visée préventive qui réduit le risque de cancer du sein de plus de 90 % ! Mais, c’est un geste qui doit être discuté et la décision longuement mûrie. Concernant le risque de cancer de l’ovaire, qui est également associé, on commence par une surveillance entre 35 et 40 ans. A 40 ans, une chirurgie ovarienne de prévention est recommandée, en particulier dans un contexte BRCA1», précise Dominique Stoppa-Lyonnet.

Identifier de nouveaux gènes responsables d’une prédisposition

Toutefois, les mutations de BRCA1 ou de BRCA2 ne sont responsables que d’une partie des formes héréditaires des cancers du sein et de l’ovaire. D’autres gènes pourraient-ils être impliqués ? En charge d’un projet de recherche réalisé dans le cadre du programme de la Ligue « Cartes d’Identité des Tumeurs®» (CIT, voir encadré Les espoirs de la génomique… à la carte), Michel Longy, médecin généticien à l’Institut Bergonié, à Bordeaux, cherche à identifier de nouveaux gènes liés à la prédisposition héréditaire au cancer du sein.

« Chez les patientes présentant un cancer du sein de type familial, les tests génétiques ne révèlent une mutation de BRCA1 ou de BRCA2 que dans seulement 30 % des cas. Il reste 70 % de formes familiales de cancer du sein pour lesquelles on ne met pas en évidence d’anomalie génétique responsable d’une prédisposition. Une des explications possibles est que des altérations d’autres gènes que nous ne connaissons pas peuvent être en cause. »

Pour identifier ces gènes putatifs, quinze familles ont été incluses dans l’étude en cours. De façon originale les travaux réalisés se fondent sur l’analyse du génome des tumeurs qui se sont développées et non sur l’étude du patrimoine génétique des patients. « Le but est de comparer le génome de toutes les tumeurs d’une même famille dans l’idée que s’il existe un déterminisme commun, il doit être possible d’en trouver la trace dans le génome de la tumeur », commente Michel Longy.

Gilles Girot et Jérôme Hinfray
Article extrait du magazine Vivre n°355

Les espoirs de la génomique… à la carte

Chaque cancer résulte d’une série particulière d’altérations de notre patrimoine génétique. D’une tumeur à l’autre, la cascade d’événements à l’origine de ces altérations peut être très différente.

Le cancer, ou plutôt les cancers, se caractérisent donc par une très grande diversité. Or, cette diversité est un des facteurs qui peut expliquer qu’un traitement se révèle efficace chez un patient et sans effet chez un autre. Comprendre la diversité des tumeurs, établir la «  carte d’identité de leur génome », et faire correspondre à celle-ci un traitement véritablement adapté constitue aujourd’hui une évolution majeure de la prise en charge thérapeutique des cancers. La Ligue s’est attelée à cet objectif, en lançant en 2000 le programme Cartes d’Identité des Tumeurs® (CIT). A partir de l’analyse des échantillons de tumeurs et des observations cliniques sur les patients, les travaux des chercheurs impliqués dans CIT définissent des signatures génomiques. «  Après plusieurs étapes de validation, ces signatures trouvent des applications médicales en permettant la mise au point de kits d’analyses utilisés pour affiner le diagnostic, prédire le pronostic et la réponse au traitement », explique Jacqueline Métral, coordinatrice du programme CIT à la Ligue contre le cancer.

« Plus de 10 000 tumeurs couvrant 20 familles de cancers ont été analysées. L’étude des données produites a contribué à la caractérisation de nombreux types de cancers dont ceux du sein, du foie et du côlon. Certaines de ces découvertes ont déjà conduit à la mise au point de kits moléculaires qui devraient, dans un délai assez proche, aider à une prise en charge personnalisée du patient », précise Aurélien de Reyniès, coordinateur des analyses biostatistiques du programme CIT.

Le point fort du programme CIT tient à un protocole d’étude où la standardisation et le contrôle sont des maîtres-mots. Autre valeur ajoutée, toutes ces informations cruciales pour mieux appréhender les tumeurs et leur diversité sont stockées dans Annotator®, une base de données de la Ligue qui renferme l’une des plus vastes collections de données génomiques et cliniques en Europe.

 

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