Cancer du sein : quand la résistance tient à un cil
Une équipe de chercheurs nantais labellisés par la Ligue* et ses co-auteurs ont découvert comment certaines cellules de cancer du sein triple négatif parviennent à échapper à la chimiothérapie[1]. Leurs travaux révèlent également que le mécanisme à l’origine de cette résistance thérapeutique peut être bloqué par une nouvelle classe de petites molécules, ouvrant ainsi une nouvelle piste thérapeutique.
Au-delà de la resistance
Les cancers dits « triple négatifs » représentent environ 15 % de l’ensemble des cancers du sein et sont connus pour leur agressivité accrue. Ils tirent leur nom d’une particularité biologique : leurs cellules ne sont dotées ni de récepteurs hormonaux ni de la protéine HER2, une caractéristique qui les rend insensibles à l’hormonothérapie et à la thérapie ciblée fondée sur l’anticorps trastuzumab.
Aujourd’hui, la chimiothérapie et la chirurgie restent les principales options thérapeutiques. Toutefois, près de la moitié de ces tumeurs finissent par développer une résistance, et 20 à 30 % des patientes connaissent une rechute dans les deux ans suivant le traitement.
Comprendre les mécanismes de cette résistance est donc essentiel pour espérer concevoir des thérapies plus efficaces contre les formes avancées de la maladie.
Quand s’opère un genre de transition…
Depuis plusieurs années, la recherche a montré qu’un des leviers de cette résistance repose sur la plasticité cellulaire : la capacité d’une cellule cancéreuse à changer d’identité en fonction des modifications de son environnement.
Ce changement d’identité ne constitue pas un phénomène binaire ; il se conçoit plutôt comme une transition progressive, au cours de laquelle apparaissent des cellules hybrides « enrichies » de nouvelles propriétés, comme une meilleure résistance aux traitements ou une capacité invasive accrue.
Contrôle d’identités !
Pour mieux comprendre ce phénomène, les chercheurs ont étudié des tumoroïdes* constitués de cellules prélevées chez des patientes. Leurs expérimentations ont montré que, si la chimiothérapie élimine la majorité des cellules du tumoroïde, certaines cellules en transition résistent au traitement et présentent une caractéristique particulière : la présence d’un cil primaire à leur surface.
À l’instar des vibrisses qui permettent au chat d’appréhender son environnement, le cil primaire agit comme une antenne sensorielle qui capte des signaux dans l’environnement proche de la cellule. La réception de ces signaux induit ensuite des modifications du fonctionnement cellulaire.
De cil en cible
Pour mieux comprendre le rôle du cil primaire, les chercheurs ont bloqué génétiquement sa formation. Ils ont alors constaté que ce blocage limitait la capacité de résistance des cellules cancéreuses à la chimiothérapie.
Ayant ainsi montré l’implication directe du cil primaire dans la résistance au traitement, les chercheurs ont testé la possibilité de bloquer sa formation par voie pharmacologique. Le criblage* d’une banque de 3 000 molécules leur a permis d’identifier une famille de petites molécules, appelées Naonédines, dont l’activité réprime la formation du cil primaire sur les cellules cancéreuses en transition et rétablit leur sensibilité à la chimiothérapie.
Ces résultats restent très préliminaires, et de nombreux travaux devront encore être menés pour démontrer que les Naonédines puissent un jour constituer un traitement.
Toutefois, ils lèvent déjà le voile sur une vulnérabilité particulière des cellules les plus agressives des cancers du sein triple négatif, un talon d’Achille dont l’étude approfondie et l’exploitation constituent une nouvelle piste thérapeutique à explorer.
[1] CT Tessier et al. EMBO Molecular Medicine, 2025, 17. DOI : 10.1038/s44321-025-00289-1
L’équipe de Philippe Juin
L’équipe de Philippe Juin
Basée au Centre de Recherche en Cancérologie et Immunologie Intégrée Nantes Angers, *l'équipe de Philippe Juin (« Adaptation au stress et échappement tumoral », Inserm U1307, CNRS UMR 6075) est labellisée par la Ligue depuis 2023 pour une période de 5 ans et financée par les comités départementaux du Cher et de la Loire-Atlantique.
Son projet de recherche en cours de soutien porte spécifiquement sur les mécanismes à l’origine de l’agressivité des cancers du sein triple négatifs.
Quelques notions
Les tumoroïdes, sont des micro-tumeurs, des modèles d’étude en trois dimensions qui reproduisent très fidèlement la tumeur dont ils dérivent.
Un criblage désigne une recherche systématique et automatisée réalisée sur un grand nombre de molécules afin d’identifier un composé présentant une activité pharmacologique particulière.
Des recherches, un contexte
La recherche a montré que les cellules malades qui constituent une tumeur peuvent présenter une grande diversité : c’est ce qu’on appelle l’hétérogénéité intratumorale. Un traitement administré à un patient exerce une activité toxique qui détruit la majorité des cellules cancéreuses et réduit la taille de la tumeur. Toutefois, parmi tous les types de cellules cancéreuses qui la composent, certaines peuvent se révéler moins sensibles au traitement, en raison d’une mutation. D’autres, sous l’effet même du traitement, peuvent s’adapter et « reconfigurer » leur biologie devenir résistantes. Ainsi, un traitement qui n’éradique pas entièrement les cellules d’une tumeur va sélectionner un contingent de cellules résistantes, à l’origine de rechutes et de formes plus agressives de la maladie.
Aujourd’hui, de nombreux travaux de recherche sont menés afin d’identifier les vulnérabilités de ces cellules résistantes et de les exploiter pour développer de nouveaux traitements spécifiques, susceptibles d’être combinés à l’arsenal thérapeutique conventionnel afin de limiter au maximum le risque de rechute.
Les travaux de l’équipe de Philippe Juin, décrits ici succinctement, illustrent ce type de recherche. D’autres équipes labellisées, par exemple celle de Raphaël Rodriguez à l’Institut Curie, s’inscrivent également dans cette stratégie, en explorant d’autres faiblesses des cellules résistantes aux traitements standards.